EPILOGUE

Il y a un an j'embarquais pour des Terres Inconnues.

Avec peur mais avec courage aussi : j'ignorais ce qui m'attendait.

Maintenant je sais que c'est un voyage dont on revient, quand on en revient, autre.

Mentalement et physiquement.

 

Il y a un an j'embarquais pour ce que je croyais être des territoires, un pays, un lieu, un espace et un temps : en fait c'est un Trou Noir. Sans début, sans fin, sans limites.

L'intensité de son champ gravitationnel m'a engloutie et m'empêche de m'échapper.

A moins qu'il ne soit seulement le passage, la porte vers un autre univers.

 

Il y a un an je tenais debout, je marchais, je m'habillais, je riais. Je trouvais ça normal.

Désormais mon corps est brûlé de l'intérieur et je reste prise dans les sables mouvants. Mes os s'effritent, je pleure beaucoup, le moindre mouvement me demande un effort considérable. J'ai mal partout. Je suis vieille, bossue et handicapée !

 

Une année est passée depuis que j'ai appris que j'étais habitée par un cancer. Un cancer "banal".

Ce genre de cancer dont on me répète avec désinvolture, pour me donner du courage sans doute : "C'est rien ça, maintenant on sait très bien traiter ce genre de cancer !"

 

Une année qui s'est effilochée en longueur, s'est déployée en spirale, en formes fractales ou s'est repliée parfois sur elle-même, un année qui s'est précipitée de rendez-vous en consultations, d'interventions en hospitalisations.

Une année bouleversée, bousculée. Raccourcie. Tronquée.

Déshumanisée.

Mutilée.

Comme je le suis.

 

 

Cette année, et en ce 31 janvier 2016, environ 1600 personnes, toutes nationalités, religions et pays confondus, ont été massacrées lors d'attentats terroristes. Ce décompte macabre ne tient pas compte des blessés.... ni des disparus

(sources Wikipedia)

La Méditerranée et devenu un cimetière. Plus de 3.700 migrants et réfugiés y sont morts lors de traversées pour tenter de gagner l'Europe, (sources OIM) et d'après Europol, 10 000 enfants, petits migrants solitaires ont disparus en Europe, pendant les deux dernières années, entre des mains de marchands de chair fraîche... et d'organes...

 

Et sur notre Planète, combien sont morts du paludisme, de la faim, de gastro-entérites, de virus, de la guerre... ?

 

Alors que vaut ma petite vie dans tout ce foutoir mondial... ?

  

Ce cancer m'a appris que tout peut basculer.

Et très vite. 

Que les projets qui nous tiennent à cœur et en vie, peuvent être remis en question à tout moment.

 

Que les détails et les pinaillages sont des pertes de temps et d'énergie et qu'il est primordial d'aller à l'essentiel. Avec lucidité et détermination.

Que l’essentiel est souvent fait de petits et grands plaisirs.

Que le superflu n'est pas non plus à négliger car il rend la vie plus légère. 

Que nous sommes tous mortels et que tout est impermanent.

Que nous sommes dérisoires.

 

Que la médecine n'est pas toute puissante et qu'elle est même le plus souvent dans l'ignorance, dans l'approximation et l'expérimentation.

Que les "grands" progrès dont on entend parler ne sont que de bien maigres et dérisoires avancées en réalité.

 

Que les groupes pharmaceutiques et la recherche "officielle" payée par l'Etat ou sponsorisée par la charité des grands barnums médiatiques, occultent de précieuses découvertes peu ou pas assez "bankables".

Qu'il faut souvent se débrouiller par soi-même si l'on veut avancer, s'en sortir...

 

Qu'un bon docteur ça ne court pas les rues.

Qu'il vaut mieux un docteur humain et compétent qu'un docteur humain... et incompétent.

Qu'il ne faut pas non plus se précipiter sur tout et n'importe quoi, les charlatans sont à l’affût. On leur achète de l'espoir et plus grande est l'espérance plus dure est la chute.

 

Qu'avoir le moral ne suffit pas. 

Qu'être une battante ne rime à rien. Sauf à se désoler davantage lorsque l'on échoue et retombe, aspirée dans le Trou Noir.

Qu'il vaut mieux lâcher prise.

 

Qu'être malade, ou pas, c'est plus une loterie qu'une histoire de gênes.

Que personne ne réagit de la même manière à un cancer : autant de personnes autant de cancers... Même si au fond LE cancer c'est la même chose pour tous...

Que personne ne réagit de la même façon à un traitement.

Que rien n'est jamais joué.

Ni terminé.

 

Que Dieu existe sans doute, mais qu'il n’intervient pas, ou seulement sous forme de petits coups de pouce... qu'il nous appartient de voir et de saisir !

M Arigatō m'a raconté une belle histoire sur les interventions divines, pour me faire rire, un jour où j'étais morose, et je la trouve tellement pertinente !

"Pendant les inondations à la Nouvelle Orléans un homme, profondément croyant, s'est réfugié sur un toit. Passe un canot avec à son bord des sauveteurs mais il refuse de descendre de son toit "Allez en secourir d'autres, moi je sais que Dieu me sauvera !" Il laisse ainsi passer et repartir de la même manière un hélicoptère, lorsque soudain la maison est emportée par les flots, et lui avec.

Arrivé devant Dieu il s'insurge "Dieu, pourquoi ne m'avez-vous pas sauvé ?"

La réponse ne se fait pas attendre "Et que crois-tu qu'étaient le canot et l’hélicoptère ?"

 

 

En attendant le Dr Garrigue tente de m'extirper des sables mouvants et du Trou Noir. Je m'accroche à lui.

Y arriverai-je ? Je n'en sais encore rien. 

Il y a des jours où le doute l'emporte sur l'espoir.

 

Dans cette obscurité, cette pesanteur insoutenable, du fond de mon Trou, je tente pourtant d'apercevoir, tout là haut, quelques lumières, étincelles, étoiles... ou lucioles....

 

Prochain récit : " Le Sentier des Lucioles


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