ÉTÉ BRULANT

Numéro 20150670

Mercredi 5 Août 2015.

L'alarme de mon téléphone est réglée sur 9 heures, mais je suis déjà éveillée depuis un petit moment, lorsque la mélodie sur fond de bruit d'eau que j'ai sélectionnée retentit en douceur.

 

Préparer le sac avec les papiers, prendre une douche, longue, tiède et douce à la peau, choisir des vêtements qui me semblent adéquats, très légers et en coton : je me décide pour une jupette droite, gris foncé, taille élastiquée, et un corsage très fin, très féminin, cintré, mauve, avec petites manches ballons que Fleur m'avait offert il y a deux ou trois ans pour ma Noël.

Mais je m'aperçois que le boutonnage ne va pas jusqu'en haut, or, je dois pouvoir le fermer jusqu'au cou. Tant pis, je prends une épingle à nourrice et j'ajouterai un foulard, pour me protéger du soleil. Car la peau irradiée ne doit pas être exposée au soleil.

 

Mes ballerines "Quechua" de marche, car mes pieds ont toujours du mal à supporter des chaussures "normales".

 

Lou et moi petit déjeunons d'un œuf à la coque. Je l'arrose de thé vert, bien sûr... Et je m'octroie des abricots et une pêche.

 

Dix heures et demie nous voici sur la route.

La chaleur, encore supportable, est néanmoins déjà bien présente. Le ciel devient blanc et chauffe comme un couvercle sur ce plateau dénudé.

Les tournesols ont résolument tourné leurs têtes noircies vers le sol.

Et les moissons ont laissé les champs de céréales aussi chauves que je le suis, avec seulement quelques mauvais picots encore accrochés à une terre qui devient poussière.

 

A onze heures et demie nous sommes sur le parking de la clinique.

Lou ira à la Poste qui se trouve être l'immeuble voisin, envoyer quelques paquets, pendant mon rendez-vous. 

 

Les "accueillantes" m'envoient directement vers le deuxième sous-sol : l'étage de la machine ELEKTA où je tourne un peu en rond avant de trouver la salle d'attente.

Deux pompiers sont là, debout, ainsi qu'une dame (un chauffeur de VSL je pense) et, assis sur une chaise, en train de ranger sa carte vitale et boutonner son gilet, un vieux monsieur, au regard bleu d'enfant, fragile comme une trop ancienne porcelaine déjà fêlée. 

Mais déjà la porte s'ouvre et l'on appelle mon nom.

Je pénètre dans une cabine d'un mètre sur deux tout au plus.

Là, on me demande mon carton "d'invitation" !

Las ! J'ai bien ma carte Vitale mais pas le carton des rendez-vous !

On semble un tantinet contrarié, mais qu'à cela ne tienne, comme c'est ma première visite, "on" m'en refera un autre.

Je comprends que je vais devoir le rapporter à chaque séance. 

 

Puis on m'intime l'ordre "d'enlever le haut" : j'ôte mon chemisier et ma "brassière-mono-sein" en un rien de temps et j'entre, dans l'antre, de accélérateur linéaire de particules.

 

Avec mes lunettes et mon crâne dégarni, je me sens comme le petit Numéro 9 créé par Tim Burton dans le film d'animation du même nom devant la monstrueuse "machine" ... A la fois courageuse et terrifiée par la bête et ses acolytes...

Sauf que moi je suis le Numéro 20150670  (c'est mon n° de dossier) ! C'est moins facile à retenir.

Numéro 9 face à la "Machine" !


Un peu de technique.... 

L'accélérateur linéaire de particules qui va irradier par mesure préventive de précaution, avec la technique de modulation d’intensité (IMRT) la zone opérée (à l'exception de la zone des ganglions axillaires qui ont été raclés et enlevés précédemment), ainsi que les zones des ganglions sus claviculaires et infra (ou sub) claviculaires et la zone des ganglions de la chaîne mammaire interne (la CMI), qui eux sont toujours là (car parfaitement sains selon toute vraisemblance) ne ressemble pas du tout à un "donut géant", mais plutôt à une grosse lampe au bout d'un large bras.

L'imageur portal fournit des images en 2D (planes) ces images sont comparées à celles obtenues lors de la simulation (scanner/donut), le collimateur multilames est équipé de 80 lames indépendantes, le plateau de la table est en fibre de carbone.
L'imageur portal fournit des images en 2D (planes) ces images sont comparées à celles obtenues lors de la simulation (scanner/donut), le collimateur multilames est équipé de 80 lames indépendantes, le plateau de la table est en fibre de carbone.

 

La salle est assez vaste.

Trois Blouses Blanches s'y trouvent. Deux femmes et un homme. La table de traitement n'est, pour l'instant, pas au-dessous de la "lampe" (collimateur). Mais au milieu de la pièce.

 

On m'invite à m'y allonger rapidement. Elle est un peu haute pour moi : un marche-pied ne serait sûrement pas un luxe car beaucoup de gens âgés doivent avoir encore plus de mal que moi à grimper là-dessus.

Les cales dites de "contention" pour mes fesses, mes jambes, ma tête et mon bras gauche ne sont pas encore mises correctement en place.

Je m'installe donc comme je le peux et les manipulateurs procèdent aux ajustements.

Il me faut un "coussin" (dur) supplémentaire car entre ma tête et mes fesses la longueur n'est pas "aux normes"... 

Puis le manipulateur installe donc ces dernières sur ce complément de cale, et il positionne mon bras gauche pendant qu'une manipulatrice prend mon bras droit et me dit :

"Et l'autre mimine va venir s'accrocher là."

L'autre mimine ??

J'en reste coi. Parlerait-elle en ces termes de ma main ? Me prend-elle pour une enfant de maternelle ou une vielle femme complètement sénile ?

Je n'apprécie guère... mais n'ai pas le temps de m’appesantir.

Une deuxième assistante (à moins que ce ne soit la dosimétriste ou la radio-physicienne ?) note scrupuleusement je ne sais quoi (ma position sur la table ?) sur une fiche.

Enfin après m'avoir correctement, mais non confortablement, installée, le manipulateur saisit la table et la fait tourner sur son plateau. Je vois tout le plafond défiler à grande vitesse en un quart de cercle parfait et cela me donne évidemment immédiatement envie de vomir !

 

Ma tête et mon buste se retrouvent directement sous la "grosse lampe".

Ce n'est pas moi... Mais ma position est identique à l'exception du bras gauche levé au-dessus et en arrière de ma tête, et mon bras droit le long du corps. Et je n'ai pas de draps blanc sur moi !
Ce n'est pas moi... Mais ma position est identique à l'exception du bras gauche levé au-dessus et en arrière de ma tête, et mon bras droit le long du corps. Et je n'ai pas de draps blanc sur moi !

On s'affaire. On me fait tourner la tête vers la droite, à l'opposé du sein opéré, pour éviter que les rayons ne viennent frapper ma gorge. Mon champ de vision s'en trouve très rétréci.

 

On m'explique que ce ne sera pas douloureux. De ne pas m'inquiéter.

Je sais.

On m'avertit aussi que cette première séance va durer plus longtemps que les suivantes mais que je ne dois pas m'en inquiéter non plus. 

Je sais.

Que "ça" va faire toutes sortes de bruits, mais que je ne dois pas bouger du tout. 

Je sais aussi.

On m'informe que l'on va dire des séries de chiffres tout en actionnant la machine.

Ça je ne savais pas... Mais je sais néanmoins que ces chiffres sont les données, les coordonnées en quelques sortes, (ou les "data") de mes zones à irradier.

Qu'ensuite "on" va me laisser seule mais que je serai tout le temps surveillée par caméra interposée. "Ne vous inquiétez pas".

A force de me le répéter, cela finit par devenir... inquiétant. Et oppressant.

Et si des fois, je n'avais pas bien saisi, on me répète si besoin était et encore une fois, qu'il ne faudra pas bouger d'un iota.

 

Et sachant que les zones à irradier sont délimitées au millimètre près, je ne risque pas de bouger d'un poil !

A peine d’ailleurs si je vais oser respirer de crainte que l'on ne brûle mes poumons !

Car là est ma véritable inquiétude : l'irradiation et les dégâts qu'elle peut causer.

Une manipulatrice (en formation j'espère) lit donc les fameux chiffres : ceux que la radiologue, le Dr L. Ektra, et sa dosimétriste (ou radio-physicienne ? on ne nous a pas présentés) ont définis suite à la séance du scanner de simulation (celui que je nomme Donut Géant) et le manipulateur les "rentre" au fur et à mesure sur la machine qui se positionne en fonction.

Je vois des rayons rouges dessinant des lignes de repère sur mon corps.

C'est alors que l'homme interroge la demoiselle :

"Tu es sûre que c'est 26.2 ?

- Euh... ah non, je me suis trompée de ligne, c'est 97.6 !

- Ah bon comme ça d'accord", dit le jeune homme, qui repositionne l'appareil.

Je l'ai échappé belle !

Ne vous inquiétez pas qu'ils disaient !

Le manipulateur trace ensuite des marques au stylo sur mon buste, colle des "diodes" (c'est le mot qu'il utilise) et le traitement peut enfin commencer.

Les Blouses Blanches vont s'enfermer dans leur salle de contrôle avec les écrans.

Pour l'instant le "feu" est au vert et le reste pendant encore quelques secondes, le bras s'incline et le collimateur multilames (MLC) se positionne avec des grincements et des raclements rauques, les lames métalliques à l'intérieur de l’œil de la bête se déplacent pour ne laisser passer que la forme du rayon désiré, en 3D...

La lampe passe au rouge ! Un "Clong" retentit dans les entrailles de la machine suivi d'un sinistre Bzzzzzzz. Ne pas bouger !!! 

Quelques secondes d'abord, plus longuement ensuite. Je ne respire plus.

 

La lumière repasse au vert et le bras fait alors faire un demi-tour 180° à la tête du collimateur : de sa positon supérieure gauche il va passer en position inférieure droite afin d'irradier la zone de mon sein enlevé, par la tangente. Je suis prise à revers !

Re lumière rouge, re "Clong" suivi du Bzzzzzzzz.  Je compte jusqu'à 16... et ma respiration se bloque.

Puis la lampe passe au vert et les blouses blanches reviennent.

 

Elles recommencent la même procédure pour la zone ganglionnaire, place le collimateur à la verticale au-dessus de moi.

MLC dans la tête de l'accélérateur linéaire.
MLC dans la tête de l'accélérateur linéaire.

Puis repartent, lumière verte, l’œil me regarde et je regarde l’œil.

Regard froid.

Rien ne se passe.

 

La lumière passe au rouge : Clong et Bzzz, rapide, quelques secondes seulement, la lampe repasse au vert le temps que les lames se règlent à l’intérieur de l’œil : je les vois se déplacer en glissant l'une sur l'autre avec leur bruit froid de métal.

 

Puis elles s’arrêtent. Silence.

Lumière rouge : je ne bouge plus. Bzzzzzzz de 16 secondes. Je suis encore en apnée !

 

Les blouses blanches sont revenues, et s'affairent une fois de plus autour de moi.

Puis on sort la table de dessous le collimateur et j'ai de nouveau le mal de mer. Le roulis rapide est interrompu par le manipulateur qui arrête la table et m'explique qu'il va devoir me faire un deuxième point de tatouage, juste sous la clavicule.

Il devra s'y prendre à deux fois car il ne veut pas me faire trop mal... Et du coup son premier point est invisible !

Je peux aller me rhabiller...

 

La salle d'attente est pleine lorsque je ressors. Je suis restée plus de trois-quart d'heure.

Demain j'ai rendez-vous à 18 h 40 et après-demain à 20 h 10 ! C'est parti pour 25 séances en dents de scie.

 

Je vais aux toilettes. Puis monte d'un étage, bois à la "fontaine" et dans une salle d'attente vide, aux lumières tamisées, je prends en photo le grand aquarium dont m'avait parlé Lou. J'ai besoin de me retrouver un peu au calme et seule. 


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