ÉTÉ BRÛLANT

Les Tournesols

Ce 16 juillet sera une des journées, sinon LA journée, la plus chaude de ce mois de juillet.

Nous dépasserons les 40° à l'ombre.

Mais ce matin, il fait bon. 

6 heures. Les derniers oiseaux nocturnes regagnent leur trou d'arbre ou leur grenier. Trois hulottes se répondent.

Quelques pipistrelles zigzaguent encore près de la maison.

Puis tout se calme.


A sept heures et quart nous quittons notre "île aux chênes" et la laissons à la garde de la sauvagine.

Lou met un CD de blues dans le lecteur et nous roulons.

Petites routes d'abord, hameaux et villages de pierres blanches déjà réveillés : il faut profiter de la fraîcheur. 

Champs de céréales récemment moissonnés et déjà en chaume jaune pâle où quelques corneilles glanent les graines oubliées par la moissonneuse batteuse, et où des vaches en robe crème paissent vaguement quelques maigres pailles, plus loin des ballots de foin ponctuent les prés blanchis par le soleil, les pointes encore vertes des maïs et plus loin encore, quand le plateau s'ouvre largement sur le ciel et l'horizon bleu métallique, les milliers de petits soleils jaunes des tournesols.

Nous sommes contents du choix d'Agen pour les trajets quotidiens à venir. La route est agréable, le paysage mouvant, et ouvert sous le ciel. Au loin on aperçoit parfois des bastides accrochées à des falaises, quelques lacs et quelques moulins à vent. Peu de voitures. Longues lignes droites tranquilles.

 

En un peu moins d'une heure nous faisons notre entrée dans Agen, mais juste après le grand pont qui enjambe le canal de Garonne, nous nous échappons vers la droite par la D656 et laissons de côté le centre ville, ses embouteillages et sa chaleur estivale et au rond-point suivant c'est le long du canal, ses pimpants petits bateaux et ses longues et lourdes péniches que nous roulons.

L'eau est bleutée, un peu verte. Il fait beau et bon. Petit air maritime de vacances...

Le petit port fluvial du Quai de Dunkerque à Agen (Google street view)
Le petit port fluvial du Quai de Dunkerque à Agen (Google street view)
Le long du Quai du Canal (Googlr Street View)
Le long du Quai du Canal (Googlr Street View)

Quelques mètres encore et nous voici devant la clinique Calabet. De taille humaine. Ce qu'il nous faut. 

A gauche la clinique Calabet
A gauche la clinique Calabet

A cette heure matinale, le parking de la clinique est quasiment vide. Pas d'ambulance ni de VSL (Véhicule Sanitaire Léger) pour le moment.

Je prends ma "besace à paperasses" et le temps de faire quelques photos, pendant que Lou, qui a mis pour l'occasion un pantalon de "broussard" en toile beige-kali clair avec des poches sur les cuisses, se dirige vers l'entrée du CROMG.... qui ne ressemble pas du tout aux photos de leur site ! Pas de logo ni d'acronyme des âges farouches mais le nom complet !

Tout simplement. Et c'est d'un meilleur aloi !

Une fois la porte franchie, nous nous retrouvons les premiers dans la salle de l'accueil où une secrétaire blonde nous demande de patienter car elle "termine un truc"... 

 

L'intérieur est aussi plus classique mais très frais cependant, et même jazzy... avec un aquarium pour calmer les anxieux, je suppose. Lou me dira qu'il y en a un autre, plus grand et plus joli, dans la salle d'attente au sous-sol, au niveau du scanner et des machines. Là où l'on doit souvent attendre que le verdict tombe...

l'accueil côté secrétaire du Centre de Radiothérapie et d'Oncologie de Moyenne Garonne
l'accueil côté secrétaire du Centre de Radiothérapie et d'Oncologie de Moyenne Garonne
L'accueil côté salle d'attente du Centre de Radiothérapie et d'Oncologie de Moyenne Garonne
L'accueil côté salle d'attente du Centre de Radiothérapie et d'Oncologie de Moyenne Garonne

La blonde secrétaire se met en devoir de remplir mon dossier : c'est reparti pour la vérification de l'identité, la carte vitale, la mutuelle, l'ALD, les attestations etc... la routine.

Mon classeur, que je trie et range pourtant régulièrement, se gonfle néanmoins de pages supplémentaires au fil des semaines.

Il grossit au fur et à mesure que je maigris.

 

 

Puis arrive, à pas comptés, fluette, blanche de peau et très brune de cheveux, juchée sur des escarpins stiletto grèges sous pantalons du même grège, le tout sous la blouse blanche réglementaire, mais élégamment cintrée, la radiologue, le Dr L. Ektra.

Un air indéfinissable, un "petit quelque chose" rappelant les années 30, la coiffure désuète peut-être, un port de tête, mais aussi une prestance quelque peu guerrière... J'hésite entre une actrice dramatique sortie tout droit d'un opéra romantique et une héroïne diabolique et nimbée de mystère d'une fantasy fiction... 

1938 : Rose Pauly dans Elektra de Richard Strauss et Elektra des Marvel Comics
1938 : Rose Pauly dans Elektra de Richard Strauss et Elektra des Marvel Comics

 

Mais je n'ai guère le temps de m'interroger davantage car, très vite nous passons dans son bureau. 

Voix basse. Presque inaudible.

Lou et moi devons tendre l'oreille.

Inévitables questions sur ma santé globale, mes "maladies", actuelles et antérieures , mes opérations, mes antécédents et ceux de ma famille... Je me plie de bonne grâce à ce questionnaire qui me semble néanmoins plutôt fait pour entrer dans des statistiques sur le cancer du sein, que pour aider mon traitement.

L'oncologue, le Dr G. Lagerbe m'avait d'ailleurs posé les mêmes questions. Il doit y avoir un formulaire identique pour tous les spécialistes, qui circulent de clinique en hôpital...

 

Puis le Dr L. Ektra en vient enfin à ce pourquoi nous sommes là : la radiothérapie.

 

Elle détaille les étapes, puis la manière de procéder, les rayons : ils seront tangentiels.

En d'autres termes ils seront obliques ou, comme pour le soleil en fin d'après-midi "rasants", ainsi ils se limiteront à la "surface" de ma précieuse cage thoracique, évitant de (trop) me brûler les poumons et... le cœur ! Du moins je l'espère.

Cela devrait ressembler à ça...

Ce qui signifie qu'une fois que je serai correctement placée grâce à mon point de centrage et les radios prises par le scanner de repérage, la grosse machine, le collimateur de l’accélérateur linéaire de particules, va me tourner autour, lentement, jusqu'à avoir la position correcte permettant d'envoyer les rayons en oblique et à l'endroit précis délimité par la "cartographie" en 3 D.

Du moins c'est ce que je crois comprendre.

Mise en place du collimateur autour de la table et mise en place d'une patiente sur la table (radiothérapie du sein)
Mise en place du collimateur autour de la table et mise en place d'une patiente sur la table (radiothérapie du sein)

Ce matin, on va donc commencer par me passer dans le donut géant du scanner après avoir tracé quelques points de repères au feutre (ou au stylo) sur mon thorax.

 

Puis on va me tatouer un petit point de centrage sur le sillon entre les deux seins (enfin entre le "sein-pivoine" et le "chrysanthème") qui permettra, à l'étape suivante, une simulation qui sera enregistrée permettant ainsi mon placement à l'identique à chaque séance.

Et enfin les séances pourront commencer à raison de 50 Gy au total pour la zone thoracico-mammaire (là où était le sein et la tumeur) et 45 Gy pour le champ des ganglions au-dessus de la clavicule (sus claviculaire).

 

Une fois toutes ces explications données, et après avoir répondu à nos questions, le Dr L. Ektra me prescrit de l'éosine et de la crème Ialuset© (à base d'acide hyaluronique) pour contrer les effets de brûlures sur la peau qui apparaîtront selon toute vraisemblance à partir de la dixième séance (ou un peu avant, ou un peu après).

A appliquer après les séances et surtout pas avant, car on doit se rendre aux séances avec une peau propre et sèche (pas de gras surtout au risque de "frire"), pas d'huile essentielle non plus, comme c'est conseillé un peu partout.

Donc douchée de frais et bien séchée.

Sous-vêtements ou vêtements en coton de préférence.

Pas de bain.

Pas de soleil sur la zone...

Nantie de ces ultimes recommandations qui me seront réitérées par la manipulatrice, nous descendons dans l'antre du Donut et de la machine.

Je suis priée de me mettre torse nu. Puis je pénètre dans la salle du scanner. Il fait froid.

La manipulatrice me place avec le bras en arrière.

Hola ! Tout doux ! Les cordes se tendent ! La cicatrice se crispe (en dedans).

"Attendez, dis-je, que je masse mon bras, ça ira mieux ensuite pour le placer."

La manipulatrice me laisse me masser et me placer tout en me guidant pour que mon bras soit bien dans la gouttière (appelée "élément de contention") prévue à cet effet.

Eléments de contention pour la tête et le bras gauche qui ira se placer au-dessus de la tête
Eléments de contention pour la tête et le bras gauche qui ira se placer au-dessus de la tête

 Détendez-vous... Respirez calmement... 

 

Le docteur L. Ektra, qui était sortie, revient et voyant ma difficulté, rectifie alors ma position et celle de la "gouttière", pour que ce soit encore mieux, mieux pour elle, dit-elle, et mieux pour moi.

Ouf. Je me sens effectivement plus à l'aise avec mon bras et ses cordes.

 

La manipulatrice trace alors des points au stylo puis, une fois que le Dr L. Ektra a donné son feu vert, elle place des "pastilles avec des petites billes" m'explique-t-elle, sur les points ainsi tracés, et ainsi, mise en pointillé, on m'enfourne comme un cake !

Au passage, je reconnais les petits pacman du Donut, mais ceux-ci ne s'allument pas et restent muets.

Allers et retours dans la couronne blanche du scanner qui tourne, vrombit et souffle autour de moi.

Et l'on me ressort. Je suis prise en photo avec mes points et mes pastilles. (je comprends alors pourquoi j'ai signé un papier autorisant que l'on me prenne en photo !)

La manipulatrice sort, me laisse ainsi quelques secondes. Je grelotte.

Quand elle revient c'est pour me tatouer !

Je pense qu'elle va faire plusieurs points mais non, elle n'en fera qu'un seul. Aujourd'hui.

Aïeeeeuuu ! dis-je, lorsque l'aiguille perce la peau. Elle n'y est pas allée de main morte ! Mais c'est déjà fini. J'aurai un petit point comme un minuscule grain de beauté, une tête d'épingle. A vie. En souvenir. Pour ne pas oublier...

C'est terminé. Je peux aller me rhabiller.

Après discussion entre le Dr L. Ektra, la manipulatrice et moi, nous tombons d'accord, toutes les trois, planning quasiment déjà complet sous les yeux, sur la date du 5 août pour démarrer les séances. Les vraies.

 

Sur la route d'Agen, les tournesols ont baissé la tête.

Enfin, de retour à la maison, j'ai dormi... jusqu'à mon "quatre heures" !

Van Gogh - Vase avec douze tournesols (Arles, janvier 1889)
Van Gogh - Vase avec douze tournesols (Arles, janvier 1889)

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