ÉTÉ BRÛLANT

La lézarde

Trois accords de guitare. Une mouche... chaleur moite.

 

"C'est l'été, énervé, effondré

J'en ai ma claque [...]

C'est l'été, désœuvré

Quelle mouche m'a piqué"

Higelin  - Une mouche sur ma bouche (1974)

 

 

Voilà un mois et un jour que j'ai été opérée, un mois et un jour que l'on a donné un fameux coup de pied à ce coriace crustacé incrusté en mon sein, l’envoyant valdinguer aux rayons des souvenirs glauques, un mois et un jour que mon sein gauche est devenu mon "Chrysanthème", que ma poitrine s'est retrouvée barrée par une longue balafre boursouflée, rouge, tiraillant sur la peau et les muscles, coup de sabre couturé et cuisant.

Un mois et un jour que je guette sur cette déchirure les signes écrits de la régénération et de l'apaisement, les points qui se résorbent, l’œdème qui diminue, l'hématome qui perd sa couleur pourpre et violette, la peau qui cesse de se prendre pour du carton, les croûtes qui se désencroûtent, les plis qui se déplissent, les gonflements qui se désenflent.

 

C'est insignifiant.

C'est moche.

C'est long. 


Sous l'estafilade, pourtant, muscles, vaisseaux, tendons, nerfs, se reconstituent, lentement : éclair fulgurant d'aiguille ou de couteau, élancements, durcissements, crispations. J'en vois de toutes les couleurs, arc en ciel brutal dans ce ciel gris à force d'être trop chaud.

 

Pourtant le corps fait face. Et puise dans les réserves. 

Et encore une fois je lui fais confiance.


Mais le poison du Fennec Rouge et du Phacochère Noir réunis continue pendant ce temps à flinguer mes mitochondries et mes petites cellules au bazooka et au lance-flammes, à brûler mes pieds et mes mains, à craqueler puis desquamer ma peau, à décoller mes ongles, à crever le soufflet de mes poumons, à  anesthésier mes mollets, mes cuisses, mon dos et mes fesses, leur ôtant toute force et les revêtant d'une sorte de seconde peau froide, lourde et gélatineuse.

Peau de lézarde dont nulle mue ne peut m'extraire. 

 

Je suis fatiguée. Tellement fatiguée.

Parfois je me laisse aller, n'ai plus l'envie de rire.

 

Surtout lorsque je sais que je vais encore passer à la rôtissoire façon micro-onde du collimateur rayonnant de la machine du Dr L. Ektra... parce que j'ai peur, que la tumeur, avant d'être extradée manu militari, n'ait envoyé ses sombres et invisibles émissaires se cacher et attendre, tapis au fin fond du royaume de mes limbes et circonvolutions secrètes. 

 

Le crabe éjecté, il reste peut-être des "noiraudes"... qui attendent leur heure.

 

Se réveiller chaque jour, en espérant déceler un petit mieux dans la planète Corps, et s'apercevoir que tout est comme hier, et avant-hier et les jours précédents. C'est désespérant.

Envie de pleurer. Pleurer de désarroi et de rage aussi. Car face à cet effondrement je suis impuissante.


Le moment d'après, la vie reprend le dessus. 

Mon corps me réclame !

La main droite fait des petits cercles sur la couture, en guise de massage, car il faut assouplir les quelques vingt bons centimètres de cette grosse lézarde si je veux continuer à pouvoir bouger et respirer, et je mouline de mon bras et mon épaule gauches pour ne pas finir raide comme un Horse Guard en faction devant le Palais de Buckingham !

Et puis, malgré les difficultés, je tente de marcher pour que mes jambes ne s'enlisent pas, et que mes pieds ne se fassent pas bouffer par les fourmis rouges intérieures qui les électrifient en leur donnant une couleur d'écrevisse se débattant dans l'eau bouillante...

Je ne fais rien ou pas grand chose d'autre de mes journées sinon lézarder.

Et résister.
Résister patiemment. Sans révolte, sans colère. Continuer à aimer ce corps, à lui parler, à le traiter avec bienveillance, continuer à aimer cette vie qui l'anime et m'anime.

  

Même si l'esprit se fissure parfois sous la charge et que l'espoir s'étiole en étincelles éphémères.

Dehors, le jardin de Lou ploie sous la sécheresse et la chaleur.
Le paillage ne suffit plus. 
Les quelques gouttes apportées par des averses chiches et misérables n'ont fait que favoriser un départ de mildiou sur les tomates.

 Et depuis une semaine, les buis de la colline sont attaqués par la redoutable pyrale du buis (Cydalima perspectalis) !

 

Chaque jour nous en passons quelques-uns en revue et coupons les rameaux où elle a pondu ses œufs et où les larves ont commencé leur dégât, afin d'éviter le pire (la destruction complète des buis !)

Mais depuis quelques jours aussi, mes cheveux ont commencé leur repousse.

Les cils sourcils et autres poils en font de même.

Si si... Regardez bien !
Si si... Regardez bien !

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Commentaires: 2
  • #1

    Brienne de Torth (dimanche, 26 juillet 2015 17:22)

    Laisser aller et lutter , lâcher prise et reconquérir son corps.
    Facile à dire et moins à faire mais vous êtes assez forte pour le faire , je le sais au fond de moi.

  • #2

    Sur les Terres de Karkinos (dimanche, 26 juillet 2015 18:16)

    Merci "Brienne de Torth" !
    En effet les maîtres mots sont "laisser aller et lutter". Paradoxal mais seulement en apparence !
    Entre "guerrières" on se comprend ;-)