MARIE EN MAI

D'abord, j'ai voulu acheter un rideau de porte en bois pour l'été. En perles de bois, façon "olives allongées".

Assez large et assez long pour notre porte d'entrée.

A la fois lourd, solide et fluide. 

Un rideau qui parle du Sud, et bruisse sous le vent.

Nous avions déjà un rideau de cette sorte, mais en bambou et tellement léger qu'à chacun de nos passages, ou presque, nous en emportions un morceau avec nous.

Je l'ai souvent réparé, mais cette année, les attaches sont tellement rouillées que cela s’avère à peu près inutile.

A force de consulter des pages et des sites, je finis par trouver mon petit bonheur.

Et, ni une ni deux, je passe commande.

Et là, surprise ! Mon paiement est refusé par le site marchand !

Ou plutôt par son terminal de paiement.

Je file voir mon relevé de compte et réalise que le plafond de paiement de ma carte bancaire a "explosé" sans raison, car je n'ai jamais effectué d'achats pour un tel montant !

Je ne comprends pas.

Ou plutôt je n'ose comprendre...

C'est alors que mon téléphone vibre : un code envoyé par SMS depuis ma banque pour un achat en ligne de 210 euros dans un magasin de sport... que je ne suis pas en train d’effectuer.

Le doute n'est plus possible : me voici, pour la première fois de ma vie et depuis plus de 15 ans que j'utilise Internet et les paiements en ligne (il faut un commencement à tout) devant un piratage de ma carte bancaire.

Zut.

J'enrage. Et même un léger vent de panique me submerge pendant quelques secondes.

Quoi ? De petits malfrats sont en tain de vider mon compte pour acheter des "trucs" de marque pendant que je galère sur ces Terres brûlantes de glace et de roches dans lesquelles Karkinos m'a embarquée !

C'est trop injuste.

Mais hélas, banal.

Inutile de s'énerver : agissons.

Je commence par faire opposition à ma carte par téléphone.

Puis j'envoie derechef un courriel à ma banque notifiant mon statut de victime d'opérations frauduleuses et demandant la marche à suivre.

Entre temps je trouve la rubrique "faire opposition et contester une opération".

Je reçois dans les 12 heures une réponse à mon courriel et dans les 48 heures (week-end oblige) un accusé de réception de mon opposition faite par téléphone.

Ouf.

Il ne reste plus qu'à attendre de voir s'inscrire les premières opérations frauduleuses sur mon compte pour aller à la gendarmerie porter plainte.

Mais comme, cette semaine et celle qui suit comporte, en plus des week-ends, des jours fériés (ascension et pentecôte), les opérations tardent à venir...

Dès que j'en tiens une, je me rends donc à la gendarmerie afin de déposer une plainte. C'est un gendarme très aimable, professionnel et compréhensif qui la prend et me remet le récépissé avec lequel je n'ai plus qu'à envoyer une contestation écrite...

J'ai la possibilité de le faire en ligne.

Par précaution, je double avec un courrier papier...

Puis, je dois attendre.

Attendre une nouvelle carte et son nouveau code, attendre que les opérations s'inscrivent sur mon compte et attendre aussi qu'elles cessent pour pouvoir être remboursée....

Et mon rideau ?

Je l'ai finalement commandé avec la carte de Lou.

C'est un livreur très bizarre et très bavard qui nous l'a apporté. Pour un peu il nous racontait sa vie. Nous ne suivons pas tous les méandres de son bavardage et de ses pensées et tâchons de le mettre, gentiment mais fermement, à la porte (où il est déjà) !

Puis, pendant que j'allais à mon rendez-vous chez le chirurgien, Lou a ôté l'ancien rideau et posé le nouveau.

Il est tel que je le voulais !

Je suis en avance : j'ai prévu large car je ne sais pas trop où je vais me garer.

Garer ma voiture est toujours source d'inquiétude pour moi, car j'ai du mal à faire un créneau... Et puis je ne veux pas d'un parking payant car il faut prévoir le temps d'utilisation or, avec ce genre de rendez-vous, on ne peut pas anticiper.

Cela peut durer demi-heure, entre l'attente et la consultation ou... trois heures !... Impossible de savoir.

Je vais donc ruser.

Mon choix va se porter sur un parking de magasin suffisamment grand et suffisamment déserté, entre la gare et le Pont Valentré.

Juste en face de ce dernier, je découvre un passage souterrain pour piétons qui passe sous les rails de chemin de fer ! C'est parfait. Il me permet ainsi d'arriver en dix minutes à la maternité ! Je suis plutôt contente de moi.

A l'accueil, je dois remplir, comme chaque fois, quelques papiers pour mon dossier : on vérifie mon identité, ma carte Vitale, mon nom de jeune-fille et d'épouse, mon adresse, ma date de naissance, mon numéro de téléphone... Ensuite je peux aller dans la salle d'attente où sont déjà installés deux couples.

La dame que j'ai en face de moi a l'air de mauvais humeur. A moins que ce ne soit l'anxiété.

Les deux dames ont des grandes enveloppes de résultats d'examen.

Moi... j'ai mon petit sac à dos, que je dépose sur une chaise et dans lequel j'ai glissé les résultats de la biopsie, scintigraphie, mammographie et échographie, au cas où le Dr J. Neko en aurait besoin, mais également un livre de poche, ma tablette où j'ai un article à lire et des biscuits.... 

Je suis prévoyante !

Sous le regard quelque peu inquisiteur de la dame de mauvaise humeur, je me rends, dans un premier temps, aux toilettes, afin d'être "à l'aise".

Puis j'écris un message à l'adresse de Lou pour qu'il sache que je suis bien arrivée.

Et dans la foulée, je me tire le portrait... discrètement.

En une vingtaine de minutes les deux couples ont été reçus et contre toute attente, me voici déjà, et à mon tour, invitée à entrer dans le bureau du Dr J. Neko. Il est environ trois heures et quart de l'après-midi.

J'entends le docteur répondre à une secrétaire "Un café ? C'est gentil mais, non...merci, je n'ai pas le temps."

Je lui dis qu'il peut le boire pendant la consultation s'il le désire, car cela ne me dérange pas du tout.

Mais en riant il me répond :  "je ne peux pas, je ne peux faire qu'une seule chose à la fois, je suis monotâche, comme tous les hommes...

- Ah oui, dis-je, c'est vrai que c'est ce que l'on dit..."

Nous avons ri, et sommes entrés dans son bureau où nous avons pris place.

Sur ce, il a parcouru rapidement mon dossier.

Oui, il se souvient parfaitement de moi, et me demande comment s'est passé la chimiothérapie.

"Elle s'est passée" m'entends-je dire. Il lève les yeux par-dessus mon dossier et me scrute. Ma tête et mon regard en disent long. Suffisamment long pour qu'il comprenne. "Ah... dit-il. Quels effets avez-vous eus ?"

Je détaille donc un peu : vomissements pendant quatre jours puis mucite avec aphtes sous FEC 100. Syndrome main-pied important avec des grosses cloques comme de grosses ampoules, mucite et aphtes aussi, fourmillements et perte de sensibilisé des extrémités (neuropathies périphériques * cf. documents) et douleurs articuliares et musculaires sous TAXOTERE.

La totale quoi.

"Ah, puis aussi l’alopécie... ajoutai-je en désignant ma tête... mais ce n'est pas douloureux, physiquement en tout cas. En revanche, à part mon taux d'hémoglobine qui a baissé, mais n'est pas non plus catastrophique, mon taux de neutrophiles et de plaquettes a tenu bon."

Il hoche la tête.

"Est-ce que je peux vous examiner ?"

Je suis plus qu'agréablement surprise ! Un docteur  (cf. document ci-après) qui respecte suffisamment ses patientes pour demander la permission de toucher leur corps dans ce qu'il a d'intime... C'est suffisamment rare pour que je le mentionne

"Bien sûr !".

Je m'allonge.

Il palpe la tumeur, les ganglions. C'est professionnel. Efficace. Ses doigts lisent ma peau comme un livre écrit en braille.

Il détecte immédiatement le ganglion encore douloureux mais que je n'arrive presque plus à déceler par moi-même.

"Il a diminué de volume mais il fait encore mal n'est-ce pas ?

- En effet, oui."

Il continue son investigation, puis il glisse :

"Nous nous dirigions dès le début vers une ablation totale."

En effet. avec cette grosse tumeur d'au moins 5 cm et les ganglions envahis, il était impossible d'opérer sans réduire l'ensemble dans un premier temps.

C'est chose faite, mais, la meilleure solution, pour ma sécurité, reste maintenant la mastectomie (ablation complète du sein).

Néanmoins, il me laisse le choix : une chirurgie conservatrice (tumorectomie) reste possible, quoique moins sûre, avec un risque de récidive, mais la tumeur est, d'après lui, "bien placée" (dans le quart supérieur gauche externe du sein) et mes seins ont un bon volume et une bonne texture...

J'avoue qu'ils sont plutôt pas mal (pour mes 64 ans)...

Il faudrait néanmoins, pour en conserver seulement une partie, une lourde et longue radiothérapie post opératoire. Et il répète que le risque de récidive sera élevé. 

Ce que j'entends confirme ce que j'ai lu, ce que je pense, ce que je sais.

Mon choix est déjà fait depuis suffisamment longtemps maintenant. J'avais toutefois, encore, un léger doute, qu'il vient de m'ôter.

C'est donc l’ablation totale du sein que je retiens. Que nous retenons.

Il programme l'opération pour le lundi 22 juin.

Juste le temps de remonter un peu la pente après la dernière charge du Phacochère Noir (dans deux jours !)

J'avoue ne pas être sereine....