LE CHEMIN DES AIGUILLES

Le Chaudron de Yamanba

Puisque les bogues de châtaigne persistent à trouver mes plantes de pied à leur convenance et à s'y incruster, et que le corps médical me sourit piteusement en me disant "courage", il va bien falloir que je m'habitue à leur présence.

Combien de temps ?

Longtemps probablement.

 

Apprendre à ne marcher qu'avec mille précautions pour ne pas enfoncer plus avant les aiguilles dans ma chair, tout en essayant de na pas y songer, afin de repousser cette douleur inutile, et trop prenante, et de profiter de tout ce que la nature m'offre sur mon passage.

Je vais devoir passer beaucoup de temps dans la journée en multiples bains de pieds, applications incessantes de crèmes et pommades, cataplasmes d'argile, non pas tellement pour ne plus avoir mal mais pour éviter que cela n'empire !

 

Et ne pas oublier mes mains qui se tachent aussi de cloques rouges et brûlantes et dont je dois aussi protéger les ongles contre les agressions du poison des aiguilles de l'if, en les recouvrant soigneusement de vernis base et de vernis opaques...

attendre que ça sèche, repasser une couche, attendre, peindre, attendre, repeindre...

 

Au moins, la nuit je dors.

Et bien non !...

 

La nuit, je suis dans un chaudron.

Un énorme chaudron au cul noir et tout rougeoyant !

 

Et je cuis.

 

C'est le chaudron de la vieille et horrible Yamanba (山姥la sorcière des montagnes qui hantent les forêts nippones et attrapent les voyageurs perdus pour les manger !

 

En galopant avec le Phacochère noir, sur son territoire, j'en ai un peu perdu la tête, et le nord... L'aiguille de ma boussole s'est mise à tourner sur elle-même, n'indiquant plus rien. Fermer les yeux. Attendre l'aube...


A errer ainsi, pendant la nuit dans les zones d'ombre du chemin des aiguilles (d'if) je me suis égarée et j'ai rencontré la terrible Yamanba !

Yamanba
Yamanba

 

Elle m'a attrapée dans l’obscurité de la chambre alors que je me croyais en sécurité, et fourrée toute entière dans un grand chaudron où je suis en train de cuire et bouillir comme une vulgaire soupe au chou !

 

Et elle touille... touille, touille.

Et je bouillonne. A gros bouillons.

 

Ma peau bout , ma bouche et ma langue bouillent , ma gorge et mon ventre bouillent, mes pieds bouillent !

 

C'est cette sensation de bouillir dans le grand chaudron de Yamanba qui vient me réveiller toutes les nuits à trois heures du matin !

Et je reste renversée sur le dos, immobile, en contemplant le plafond.

Incrustée dans le bois, la tête de Yamanba m'y observe, avec sa grande bouche noire ouverte sur ses chicots. Parfois elle se transforme en grosse araignée au ventre palpitant et étire ses longues pattes noires...

Des aiguilles continuent à me transpercer, le dos, les poignets ou les genoux. Les hanches parfois. Douleur intense, électrique et lancinante mais de très courte durée.

 

Lorsque les lueurs blanches de l'aube entrent par le fenestrou de la chambre, dissipant les traînées noires de mes nuits, la figure hirsute a disparu. Et l'araignée est redevenue ce qu'elle est : un nœud dans le bois.

 

Alors je m'endors de nouveau jusque tard dans la matinée.

Ensuite, il faut poser les pieds par terre, et tout recommence. 

 

Au matin du 10ème jour, j'ai l'impression que rien n'a bougé. Les bogues de châtaigne sont toujours incrustées sous mes pieds.

Et un aphte, troll "volcano", vrille désormais ma langue de sa pointe de feu.

 

Mais après le repas frugal de midi, en chaussant tant bien que mal chaussettes et sabots larges et souples (de vrais faux Crocs quoi) pour le rituel du tour de colline, il me semble soudain que la brûlure est moins violente !

La marche sur le sentier s'avère en effet moins pénible.

Est-ce possible ?

Je n'ose y croire...

 

Dans l'après-midi de ce 10ème jour, des amis ont apporté leur bonne humeur, une glycine déjà grande prête à être plantée, un bouquet de fleurs avec du muguet... et des œufs de leurs poules pour la "coque" du petit-déjeuner. 

Lou venait de tomber en panne de "débroussailleuse-faucheuse" : une roue ne voulait plus faire ce qu'elle était sensée faire, tourner !

Le bonnet "campanule"
Le bonnet "campanule"

Je n'ai pas eu le courage de devenir "autre" pour les recevoir : ni Betty, ni Carol. Les déguisements sont sur leur portant et attendent des jours meilleurs. J'ai relégué la perruque Cléo dans une boîte : je ne m'aime décidément pas avec cette personnalité là. Lou non plus. La chose est dite.

 

D'ailleurs avec mes pieds trempant dans leur bassine... j'aurais eu du mal à frimer.

 

J'ai donc gardé mon bonnet "campanule" bleu sur ma tête. 

Il s'est agrandi, peut-être, ou, comme dit Lou, c'est ma tête qui a rétréci !

Je vais devoir faire un peu de couture (pas sur ma tête !).

 

 

Mais avec ma tête de bonze grimaçant, aux traits de plus en plus émaciés, je vais peut-être mettre en fuite la terrible Yamanba, à la vue de ce Yokai d'un temps nouveau !


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