Etat de Marche

Des amis m'écrivent régulièrement. Comme si rien n'avait changé ils me racontent leur vie, comme avant, et moi la mienne. Nous plaisantons parfois, nous échangeons nos points de vue et nos points de vie.

Ces échanges me sont précieux.

Car rien n'a changé ! Karkinos  ne m'a pas changée en crapaud pustuleux !

D'autres ne m'écrivent plus. Et cela m'attriste infiniment.

Ont-ils peur de Karkinos ? Sa seule évocation les tétanise-t-elle ? Je ne sais que penser. 

Karkinos aurait donc le pouvoir maléfique de modifier la relation à l'autre ? Je le crains. Je le lis de ci et de là. Je le constate avec amertume.

Les ailes et voiles noirs de Tanathos s'agitant derrière Karkinos au gré des vents mauvais en effraient plus d'un.

Et moi la première.

Mais, curieusement, cette menace sourde m'a donné encore plus l'envie de vivre et elle a aussi renoué des liens que je croyais rompus : mon frère s'est enfin rapproché de moi. Je l'attendais depuis si longtemps. La vie, et la mort aussi, celles de nos parents, nous avaient éloigné l'un de l'autre. Pourtant nous nous aimions.

Nous ré-apprenons à nous parler, et à nous épauler sur le chemin de nos vies parallèles.

La Mort aurait-elle plus de pouvoir que l'Amour ?

Tous les deux ou trois jours mon corps est livré à des sensations sinon nouvelles, car répétitives, du moins tournantes.

Tantôt ce sont les "trolls vertigo", les vertiges avec des sortes de distorsions acoustiques et bourdonnantes.

Tantôt mon estomac qui se transforme en "troll enclume" à chaque bouchée avalée, tantôt les "trolls des tubes" qui transforment mes intestins en gargouilles grimaçantes...

Seules constantes ce goût de ferraille qui occulte et modifie tous les autres goûts, cette sensation de farine grasse ou de peinture à l'huile qui tapisse ma bouche, et cette fatigue qui me surprend de temps à autres m'obligeant à m'allonger et dormir telle une souche.

 A huit heures et demie je me lève : hier un coup de fil de l'infirmière qui doit venir me ponctionner du sang, m'a prévenue de son arrivée vers neuf heures et demie.

A l'heure dite, toilette faite, petit-déjeuner pris, j'attends.

C'est alors que le "troll enclume" vient me rendre visite pendant que j'attends.

A dix heures passées, nouveau coup de fil m'annonçant un petit retard.

C'est vers onze heures qu'elle arrive enfin.

C'est la troisième fois que nous la voyons. 

Ne connaissant pas son nom, nous l'avons baptisée "Brienne de Torth", cette grande femme atypique et attachante de la série épique grandiose et médiévale du Trône de Fer (Game of Thrones), à la fois guerrière armurée, mais sans nul doute sensible sous la carapace qui l'endurcit.

Mais ce matin, que se passe-t-il ?

Jamais une prise de sang ne m'a fait aussi mal. Pourtant j'ai de belles veines bien bleues, bien gonflées, bien visibles. C'est à croire qu’elle les transperce de son épée !

Du coup, le "troll enclume" remet ça et me retourne l'estomac. J'ai envie de vomir. Ou de tourner de l’œil. Au choix. 

Je n'en ferai rien. Mais après le départ de "Brienne", je dois m'allonger un moment pour récupérer.

Peu après 17 heures je reçois par email les résultats.

Ils ne sont pas alarmants. je suppose même que B.B. Brune Virginie me dirait, et me dira sans doute demain, que c'est très bien... pour eux. Et pour moi (?)

Petit cours de chimie :

Les globules rouges continuent de diminuer, (ils ne sont plus que 3 580 000 par millimètre cube au lieu des 3 810 000 de la dernière fois) mais ça va encore.

L'hémoglobine, et c'est elle que les B.B. et le Dr Lagerbe consultent, ne doit pas avoir un taux inférieur à 8 g/dl.

J'ai encore de la marge puisque j'en suis à 11,5 g/dl
Les globules blancs et notamment les "polynucléaires neutrophiles" qui sont les plus importants dans notre affaire, car ils s'occupent de lutter contre d'éventuelles infections, sont à 2900 par millimètre cube au lieu des 3300 de la dernière fois, mais ils sont toujours et encore au-dessus de la fourchette basse de la norme (2000/mm3).
Le taux minimal en-dessous duquel on ne peut administrer la chimiothérapie se situe à 1500 /mm3.
Donc tout va bien.
Quant à mes petites plaquettes elles vont très bien (270 000 /mm3), le taux minimal étant 100 000/150 000

Petit rayon de soleil du matin !

Le facteur en son Kangoo jaune la Poste nous apporte un colis que j'attendais pour mon anniversaire.

Fleur et Lou l'avaient commandé en Espagne et le facteur parisien, n'ayant pas envie de s'embêter à remplir le formulaire de passage, l'avait immédiatement renvoyé à l'expéditeur !!! Merci la Poste.

Cette fois il m'a été adressé ici, sur la colline et il est enfin là !

C'est un "étui de protection" pour ma liseuse, artisanal et personnalisé, au couleur d'amande fraîche et de libellules !...

Et un clin d’œil "Moomin" spécial douceur et tendresse à l'intérieur ! 

Une belle surprise qui me fait fondre comme neige au soleil et me permet d'envisager plus paisiblement le séjour à l'hôpital de jour, de demain.