Etat de Marche

Anniversaire

Vendredi 13

Vendredi 13 Mars.

Le repas de midi est englouti en moins d'un quart d'heure : Lou est revenu tard du marché et je n'ai plus guère le temps. J'ai enfilé une robe, mis des collants et posé Miss Carol sur mon crâne de lièvre.

Je redeviens "normale"... 

Petit duffle-coat noir, bottes, sac à main et en route !

Notre fille, Fleur, arrive de Paris par le TGV de 13 h 50 en gare d'Agen, et j'ai une heure de route environ.

 

Suis-je en état de conduire ? Je le pense et le vérifie aussitôt.

Certes mes mains tremblent un peu et je me sens comme un fétu de paille, mais bien calée sur le siège du Kangoo, les doigts bien à plat sur le volant, à 10h10 comme il se doit, je me concentre sur la route. 

 

Il ne fait pas très beau. Il pleut même, par moments.

Je traverse des paysages de champs en camaïeu de vert clair, où s'insèrent des figures géométriques de labours bruns ou crayeux, sous un ciel changeant griffé de bistre et de giboulées.

Des poignées de passereaux s'envolent tant bien que mal, se faisant un peu culbuter par des rafales de vent, à quelques mètres du capot. 

le Quercy
le Quercy

Je trouve assez vite une place dans le parking de la gare. Au même instant le TGV de Paris déboule avec quelques minutes d'avance.

Vite.

Mes jambes sont un peu flageolantes et je ne peux pas marcher aussi vite que je le voudrais.

Mais je marche !

Je scrute rapidement le flot des voyageurs qui se déverse déjà dans le hall. Non, elle n'est pas là. Et je passe directement sur le quai.

Et soudain la voici !

Grand sourire. Un peu émue. Moi peut-être plus qu'elle ? Je suis au bord des larmes.

C'est la première fois que nous nous voyons depuis l'annonce de la présence du Crabe, en mon sein gauche. Depuis que le monde a basculé. 

 

Nous ne restons pas au milieu de la foule. Ce moment nous appartient et nous allons vite le cacher plus loin. Mais sans avoir parlé je la sais rassurée. Elle a vu que "ça" allait. Ma nouvelle tête rajeunie de quelques années sous la perruque blonde de Carol l'étonne un peu. Elle me regarde du coin de l’œil, tandis que nous nous dirigeons vers le parking.

Il ne pleut plus. Mais il fait froid.

 

Elle a fait bon voyage.

Nous reprenons aussitôt la route vers notre colline.

Elle emplit son regard du ciel immense où courent les nuées, de verts tendres et de moulins à vent, de toits roses à quatre pans, des miroirs lointains de lacs dans une trouée. Puis me raconte sa vie, son travail, ses joies et ses peines.

A peine arrivées, nous nous lançons, Lou, Fleur et moi dans le sacro-saint tour de notre colline, ronde comme un sein, avec son mamelon de chênes au sommet !

 

Fleur a hâte de respirer de l'air frais, de l'air sans gaz d'échappement, de voir du vert, ou du bois, à perte de vue, d'entendre les oiseaux dans les taillis et les chênes !

Notre colline !

Elle ira voir les deux jonquilles et les pervenches de Madagascar, qui ont fleuri près de notre ancienne roulotte en bois... avant de regagner la maison pour le goûter.

La roulotte "chambre d'amis" ...
La roulotte "chambre d'amis" ...

 

Le soir autour de la table sous la lampe, près du poêle qui ronfle tranquillement, nous nous retrouvons tous les trois. Comme avant. Lou a préparé une bonne grosse soupe de fanes de radis.


Anniversaire - 14 Mars

Lou se lève à six heures. C'est un adepte du "lever-tôt".

Je sens un petit bisou et un "bon anniversaire" glissé dans mon oreille comme un petit animal tout chaud. Puis je me rendors.

 

Aujourd'hui j'ai officiellement 64 ans révolus.

 

Lorsque Fleur et moi émergeons de notre grasse matinée (nous sommes des adeptes du "lève-tard"), ce sont des bouquets de jonquilles et de jacinthes qui nous accueillent derrière le sourire de Lou... et des cadeaux posés sur la table ronde près de l'escalier de bois.

Peu après Fleur ajoute ses petits paquets.

Puis vient l'heure du petit déjeuner tardif

La journée s'écoulera en douceur.

A midi, une grillade, cuite à point, de côtes d'agneau aux herbes... Dans l'après-midi, des tours de colline... des moments de calme et de lecture, le goûter, premiers cadeaux ouverts...

 

Je reçois un bonnet très confortable, de couleur bleu foncé, dont je me couvre le chef... derechef !

Puis une casquette "gavroche" bien chaude, toute douce et bien couvrante, pour mes balades !

 

Et un livre de Florent Chavouet, qui fait suite au premier (Tokyo Sanpoque j'avais reçu à Noël : Manabé Shima !

 

Sorte de carnet de voyage, croquis regorgeant de détails méticuleux, au crayon de couleur, récits anecdotiques, caricatures dessinées avec bonhomie, flore exubérante, faune locale... retraçant par petites touches, agrémentées de pas mal d'humour et d'autodérision, avec parfois un peu de rien, ce rien dont la vie est aussi faite, les deux mois que l'auteur (talentueux !) a passé sur cette toute petite île de la Mer Intérieure, qu'est Manabé Shima.

 

Minuscule point entre Osaka à l'est et Hiroshima à l'ouest

Fleur et moi nous plongeons dans le sud du Japon, avec les pécheurs de Manabé Shima...

 

Puis Lou sort le champagne, et nous trinquons... à ma santé ! 

Présente et future.

Hélas, je ne pourrai pas en boire une seule goutte : c'est de l'acide pur que j'ai dans la bouche ! Satanés produits chimiques !!!...

Tant pis, je reste à l'eau...

 

Lou nous sort le grand jeu ! Un plat débordant de couleur et de saveurs marines ! Crevettes, cœurs de palmier et salade la mer, pour rester dans l'ambiance de la petite île.... Et je peux manger de tout !

J'ai presque faim !

D'autres cadeaux suivront tout au long de la soirée.

 

Musique de fête, on rit on pleure aussi un peu, on se serre dans les bras, on danse...

 

Oublier que je suis malade.

Oublier cet état qui n'est pas la vraie vie, mais une parenthèse à la marge, où tout semble tourner autour des malaises, des bobos, des traitements, des hôpitaux, des nausées, mais dont il ne faut pas faire le centre d'intérêt, malgré leur omniprésence !

 

Et TAC !

Un dessin qui tombe à pic !    © Florent Chavouet (Manabe Shima)
Un dessin qui tombe à pic ! © Florent Chavouet (Manabe Shima)

Lou m'offre de l'essence de rose de Damas.

Et Fleur un gilet rose poudré !

La vie en rose !

Pour une soirée lumineuse, faite de douceur et de tendresse.

 

Cléo se lance dans  l'improvisation d'une petite danse "country" dans la cuisine, sur... des musiques irlandaises... Histoire de secouer le petit crabe et lui montrer qu'on est bien là, et qu'il ne prend pas toute la place dans notre vie.

La danse de Cléo devant le frigo :)
La danse de Cléo devant le frigo :)

Puis vient l'heure de souffler les bougies.

 

Tourner la dernière page, la dernière minute de ces 64 années bien remplies d'une vie que j'aime et continue d'aimer intensément, malgré, ou peut-être surtout, ce que je considère seulement comme un accident de parcours. 

Karkinos n'est pas au cœur de ma vie. Karkinos n'est pas au centre de mes pensées.

Karkinos n'a pas envahi notre maison.

Il s'est seulement terré dans un petit trou au bord d'un ruisseau. 

 

Une vie sans regret aucun jusqu'à maintenant.

 

Une vie qui continue et va continuer de plus belle son bonhomme de chemin. 

Même si, parfois la toile d'araignée de la peur me frôle la nuque ou m'agrippe au ventre, elle ne me paralyse pas. Il suffit de remettre les choses à leur place. Ne pas leur donner plus d'importance qu'elles n'en ont.

 

Lou et Fleur ont posé des bougies pas très "orthodoxes" sur une tarte aux fruits rouges... Qu'importe l'orthodoxie ! Les flammes brillent ! Les yeux aussi !

Le lendemain, un tout petit rayon de soleil nous a rappelé que le printemps n'était pas loin malgré ce temps ronchon !

Quelques abeilles et bourdons se sont même précipités sur le romarin en fleur.


La vie repart de plus belle !

danse du bourdon bleu et du romarin
danse du bourdon bleu et du romarin


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