Etat de Marche

La Vieille lionne

Pendant six jours il me fut impossible d'écrire.

 

Ou plutôt d'évoquer le largage massif et destructeur des armes chimiques dans mes vaisseaux.

 

La seule image des poches suspendues à leur potence, ou de B. B. Brune (qui se prénomme Virginie) transperçant ma fine peau tendue sur la chambre implantée suscitait un raz-de-marée de nausées incoercibles. Même la vue du Pont Valentré me donnait envie de vomir.

 

Le mercredi soir, nous étions dans l'incertitude. Nous avions néanmoins pris la décision de nous rendre le lendemain matin, malgré tout, à l'hôpital de jour.

La sonnerie du téléphone nous a cueillis au moment où nous allions partir.

La voix de B.B. Brune au bout du fil et une interrogation : avais-je fait faire les analyses de sang ?

Un cafouillage administratif et paperassier... Il en avait résulté que le Dr G. Lagerbe et son service n'avaient pas eu les conclusions ! 

Inquiète, j'ai fait part de mon taux d'hémoglobine et B. B. Brune m'a rassurée, si l'on peut dire : "il est parfait... pour nous".

 

Le jeudi donc, j'au eu droit à la séance. Perruque Carol de sortie. Un soleil généreux a illuminé notre trajet. De grandes flaques d'eau attestaient encore des récents pluies.

J'ai pu avoir la même chambre que la dernière fois.

Carol fait la fière pour ne pas avouer qu'elle a le cœur au bord des lèvres à la simple vue du "matériel"...
Carol fait la fière pour ne pas avouer qu'elle a le cœur au bord des lèvres à la simple vue du "matériel"...

Souriante et en apparence détendue, le Docteur G. Lagerbe est entrée, a plaisanté sur nos "déguisements" : B. B. Brune et moi avions masques et charlottes : c'était le moment où l'on me "piquait". Puis, en bon chef de service, s'est un peu impatientée "c'est bientôt fini votre... truc"

Oui c’était terminé, j'étais branché à la première poche.

 

Puis elle a rapidement demandé comment "ça" s'était passé.

B. B. Brune lui a montré le tableau où j'avais noté mes mésaventures.

"Je ne vais pas lire tout ça. Faites-moi un résumé, ordonna-t-elle à B. B. Brune." Le ton était un tantinet impatient. Et trop sec à mon goût.

Comme il s'agissait de moi, et que je déteste que l'on parle de moi à la troisième personne en ma présence, j'ai pris la parole. 

Arrivée au pic de fièvre du dimanche soir, en pleine grippe, elle a tiqué.

Et j'ai eu droit à ma petite leçon de morale.

Sans aucune indication contextuelle elle a pris son air docte de... docteur et s'est étonnée, offusquée même, que mon bon docteur Garrigue n'ait pas fait faire en urgence une analyse de sang !

Las.... ma bonne dame, la fièvre était montée, certes au-dessus des 38,5° fatidiques, le dimanche soir vers 23 heures mais elle était redescendue quelques heures après. Et le lendemain, lorsque j'ai appelé le Dr Garrigue, celui-ci, en toute logique et avec son expérience a compris que nulle urgence n'était de mise.

C'est que l'on m'aurait bien mise en isolement à l'hôpital !... Moi qui vis si bien sur ma petite colline... isolée !

Je n’ai pas jugé bon d'expliquer tout cela au Docteur G. Lagerbe. Elle ne fait que son boulot. Elle applique, sans discernement véritable, le protocole tel que décrit dans son manuel d'oncologie et tel que je l'ai lu et relu sur les sites des hôpitaux et autres centres anti-cancéreux.

 

Je suis repartie avec des listes de médicaments et de nouvelles gélules anti-vomissements. A prendre en plus des autres !


La Vague

La Grande Vague de Kanagawa (Hokusai)
La Grande Vague de Kanagawa (Hokusai)

Le jeudi soir et la journée du vendredi, je me suis cru tirée d'affaire.

Mais le vendredi soir, je suis repartie en fond de cale de mon cargo de nuit, dérivant au gré des courants et des houles...

 

Des vagues de nausées venues des profondeurs ont déferlé, houle ample et incoercible.

Estomac soulevé sur des spasmes stériles.

Du fond de moi montaient des feulements de vieille lionne couchée dans sa tanière. 

 

Gueule sèche et craquelée, goût de ferraille rouillée. 

 

"Il faut lutter" me répète-t-on.

Et bien non. Surtout pas.

Mon esprit ne lutte pas. Il laisse mon corps prendre les commandes : mon corps sait ce qu'il doit faire.

Je le sais.

 

Au matin du septième jour, mon esprit a su que c'était terminé. 

J'arrivais à mon port d'attache, à l'abri de mes criques.

 

La grande vague m'a déposée là, ce matin, sur un rivage familier.

Le gros ventre de la comtoise égrenait tranquillement ses secondes, et les carillons de bambous et métal tintaient sous une brise douce et un chaud soleil.

J'ai mis en route une lessive. Bu un thé vert avec des tartines de fromage.

 


Ce matin jour pour jour, il y a 4 ans, le 11 mars 2011, le tsunami monstrueux a déferlé sur le Japon emportant sous sa Grande Vague plus de 21 000 âmes...

Et déclenchant la catastrophe nucléaire de Fukushima, éloignant ainsi à tout jamais près de 230 000 japonais de leur demeure.


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