Largage

Mappemonde

Betty - Crâneuse devant le crabe
Betty - Crâneuse devant le crabe

Il me reste, il nous reste, une semaine avant de recommencer la grande lessive.

Et aujourd'hui je suis fatiguée...

 

Il pleut encore et toujours.

Je me contente du tour de la colline. Deux fois par jour. Les godillots s'enfoncent dans des mousses gorgées d'eau qui font des bruits de méduses échouées.

Au-dessus du pré des brumes légères prennent leur essor et vont effacer les collines d'en face.

 

Lou tente de marcher moins vite pour que nos pas se calquent l'un sur l'autre, ce qui n'est pas facile pour lui.

 

Mon homme, mon compagnon depuis presque 40 ans... Voilà que cette épreuve s'impose à nous et va secouer notre navire.

Il faudra tenir bon la barre.

Nous le ferons. 

 

Je le regarde qui marche devant moi, claudiquant un peu à cause d'une méchante scoliose. Nous en rions parfois, il dit qu'il est comme le Dahu, qu'il doit marcher dans le bon sens de la pente pour marcher droit...

  

Parfois nous ne rions plus quand bloqué et cadenassé par la tenaille d'une vertèbre qui le coince il doit aller chez l’ostéopathe...

Je le regarde qui avance devant moi, avec sa tonsure à lui, tonsure de moine "camembert" mais tonsure quand même, lui qui avait une tignasse de Vendredi et la Vie Sauvage, lorsque je l'ai rencontré en cette journée du 4 décembre 1973... descendant de la Land Rover paternelle.

Il avait neigé. Plus de vingt centimètres. Nos regards se sont croisés. La neige a fondu.

J'ai cru alors qu'il avait 18 ans...

Il a pensé que j'en avais autant.

Mais il a fallu dans l'instant qui suivit se rendre à l'évidence. Et renoncer.

Jusqu'en 1976 où nous nous sommes mariés, confidentiellement, avec la bénédiction d'un pasteur. Fallait-il que l'aura d'amour autour de nous soit lumineuse pour que cet homme nous unisse. Nul n'en a rien su. A part nous.

 

Quand je t'ai vu, Lou, j'ai su que j'avais devant moi une pépite pure dans sa gangue de boue pâle et de quartz laiteux.

 

Moi j'avais deux jolis petits seins, les cheveux blonds et longs et les jambes douces. Où est passée cette sirène ?

Une vieille nonne malade qui n'aura bientôt plus qu'un seul sein telle une Amazone... 

 

Car mon non-sein restera ainsi, frère de l'autre. Mais gardant à jamais l'empreinte de la bataille. 

La bataille de la vie. Pas celle des insignifiances... 

 

Amer-zone... Zone à aimer.

 

Lou mon grand et bel amour, nous avons vieilli comme nous le désirions : ensemble.

Les orages, les tempêtes, le Pot au Noir, les Sargasses ou les Rugissants du Cap Horn où nous avons parfois cru nous briser, n'ont pas eu raison de notre navire.

Il a fallu souvent faire escale. Réparer. Attendre d'aller mieux avant de repartir ensemble.

Nous allons continuer ainsi.

Plus proches encore.

Plus solides.

 

Crâner face à Karkinos !

 

Aujourd'hui l’océan a des clapots et la lune est rousse. Nous restons à l'ancre.

Encre grise, bleutée, encre du soir qui tombe. Apaisés. 

 

Mercredi 25 février

Thaïlande - Koh Chang
Thaïlande - Koh Chang

Écrire commentaire

Commentaires: 0