Largage

La colline nous attend. Le soleil chauffe l'herbe roussie par l'hiver, les mousses et les lichens, les romarins et les sauges, les pierres des cayroux... Un papillon vulcain ouvre sa robe de velours brun flammé d'orange, aux rayons de la fin d'après-midi. Je frissonne d'allégresse. 

Plus bas, un chevreuil prend la fuite dans la pente faisant rouler quelques pierrailles. Deux palombes prennent leur vol.

Un thé, un petit biscuit.

Quand soudain le monde bascule et se met à tourner sur lui-même.

Tout se colore de plomb.

Et je plonge.

Je resterai ainsi, trois jours et trois nuits, au fond de mon lit, à vomir, dormir, vomir, dormir. Sans cesse.

Ne pouvant ni boire ni manger.

Discernant à peine le jour de la nuit.

Attendant comme le font les animaux, que ça passe.

Ou pas.

Je suis comme une vieille chaussette sale oubliée au fond du panier à linge !

Mais, vers les trois heures de la nuit je reste éveillée. Et alors, mon cerveau tourne à plein régime.

Mon esprit galope ventre-à-terre dans des steppes mornes, flamboyantes et inconnues, sous des cieux d'ardoise, de suie et de vertiges.

Des feux vacillent dans ce désert de vent où roulent des nuées. Et déboulent des collines, sur leurs petits chevaux, les tribus mongoles du grand Temüdjin, conquérant de la Chine, le grand Gengis Khan...

J'ai l'ivresse folle d'une compréhension totale, universelle de l'existence et du chaos.

Au matin il n'en reste rien.

Juste un grain de poussière sur les franges du néant.

Écrasée sur ma couchette par le poids de la nuit, bouche de buvard sec, oreilles sifflantes et crachotantes, nuque et épaules brûlantes, grésillantes d'escarbilles du grand fourneau nocturne.

Hors d'haleine. J'attends.

J'attends d'avoir la force de me lever.

Au matin du quatrième jour, je sais enfin que c'est fini.

Mon corps s'est essoré. 

J'arrive à manger trois minuscules morceaux de pommes cuites et à boire un peu d'eau au goût de mercure.

Et pourtant... Un festin qui me ravit les papilles et l'humeur !

Depuis, chaque jour apporte un mieux et surtout, surtout, la vie reprend du goût et des couleurs !

je mange des soupes merveilleuses, de pommes-de-terre et carottes ou poireaux, les saveurs éclatent en étoile de plaisir subtil et décuplé !

J'ai pourtant la bouche Ripolinée par une laque épaisse visqueuse et amère. 

Je peux désormais boire de nouveau le thé vert du Japon, et retrouver à chaque gorgée la plaine et les collines vertes de la préfecture de Shizuoka, lorsque Fleur, ma fille, et moi, y avons traversé en locomotive, les champs de théiers aux formes rondes, sur lesquels veillent des ventilateurs montés sur mâts...

Je peux désormais et de nouveau faire le tour de la colline et respirer l'odeur des pins, me laisser surprendre par une mésange qui trille sur une branche de chêne. La tête tourne parfois et la vue joue à la chandelle tremblotante et vacillante, mais cela m'est égal !

La vie court ! Frôle, vole, frémit ! 

La moindre brise de février, froide et dure, me transperce et mon cœur la chevauche !

Les produits sont à l'oeuvre dans mon corps et mon corps se prend à chanter. 

Je croyais devoir livrer bataille, je croyais qu'il fallait être brave, courageuse...

Rien de tout cela.

Je suis comme une plume que le vent fait danser. Mes sens sont aiguisés au centuple.

Mon corps fait ce qu'il a à faire. Mon corps et moi ne faisons qu'un, entité qui pulse la vie.

Au huitième jour mon corps a retrouvé sa force, mes sens restent aux aguets, terriblement aiguisés : la vie est merveilleuse.  

Il y a bien sûr tous ces effets secondaires de ces drogues. Je n'en parlerai pas : on en trouve des listes interminables et exhaustives jusqu'à la nausée sur internet.