2 - DEPART


Neige et Scintillement

"Juste quelques flocons qui tombent

Sur les dernières traces de pas...

La rue est blanche 

Le blanc m'inonde"

(Antoine)

. . . . . . . . 

3 février 2015

La neige est arrivée ce matin.

Douce.

Légère.

Poussée par des vents froids et horizontaux.

Petites abeilles blanches.

Elle a recouvert la peau rousse des jachères, et les bras nus et noueux des chênes.

Vol de corneilles au-dessus des labours.

 

Je voulais aller à Cahors seule. Finalement il est plus prudent que Lou m'accompagne.

Nous voici en route. Il est tôt.

Nous croisons seulement quelques camions, gros insectes dont les yeux brillants trouent les nappes laiteuses du brouillard.

Écharpes orangées et bleutées sur les horizons gris.

 

Lou me dépose devant l'accueil et part garer la voiture.

Dans le hall, la file des patients... patiente.

Je prends mon ticket le C 111

Quelques couloirs et escaliers plus loin nous prenons place : même fauteuils en plastique froids et inconfortables...

Attente. Nous lisons. La secrétaire s'ennuie...

L'oncologue, le Dr G. Lagerbe, est une femme, cheveux couleur de paille sèche, coupés à la garçonne avec des petits escaliers, comme des écailles, sur tout le pourtour. Je ne peux m'empêcher de penser, en la regardant, à un épouvantail fiché au-dessus des chaumes, bras ouverts pour recevoir, ou peut-être effrayer sa volée de corbeaux...

D'entrée je sais que le courant aura des difficultés à passer...

 

Elle parle, fait défiler ce que va être mon parcours. 

Avalanche médicale... 

J'écoute. Lou aussi. Je case le maximum de détails dans ma tête...

Il y aura six séances de chimio, une toutes les trois semaines. Des prises de sang entre chaque séances.

 

Deux protocoles.

Le premier : FEC 100 (qui comporte 3 molécules : 5-Fluorouracile, voilà pour le F, Epirubicine pour le E et enfin Cyclophosphamide pour le C. ça c'est moi qui l'ajoute après l'avoir cherché sur la toile)

Cycle de trois poches donc et attention : pipi orange qui tache ! (ça c'est l'épouvantail qui l'ajoute)

Mais pas un mot sur la toxicité des produits, si ce n'est qu'elle m'informe qu'avant cette première réjouissance, on me fera une échographie cardiaque pour voir, ainsi que je le suppose, si mon cœur supportera cette soupe chimique sans frémir.

 

Le second protocole, toujours aussi classique : Taxotère. Un traitement "à tout faire"...

Le tout se fera en HAD (je traduis : Hôpital De Jour).

Tout ça, elle l'écrit de son écriture ronde et penchée de gamine - deux petites lignes - dans mon PPS (Parcours Personnalisé de Soins).

Et c'est presque banal tellement c'est commun...

 

Le fameux Parcours Personnalisé de Soins, (à part mon nom et ma date de naissance la personnalisation est un peu succincte), tient dans un petit classeur estampillé par 'La Ligue du Cancer". Sont également notées les coordonnées des "soignants".

Elle me donne son email, car je le lui demande, en me précisant toutefois... que si je lui écris elle ne me répondra pas ! 

Ce qui s'avèrera plus tard.

Aimable épouvantail...

 

Ce classeur est à faire suivre partout où j'irai ajoutera-t-elle comme ultime consigne !

 

Puis Dr G. Lagerbe me remet des photocopies d'une liste de plus de dix pages, d'effets secondaires possibles et relatifs à "mon" protocole de chimiothérapie.

A lire absolument me dit-elle, c'est important. Et je dois bien noter les consignes de prudence !

 

Elle m'ausculte enfin, affirme qu'avec la chimio, ma tumeur va beaucoup rapetisser. Je la crois. Je veux la croire.

Une infirmière entre avec mon dossier, et ressort aussitôt en me disant "à bientôt"...

 

Le manège s'accélère. Ça me donne le tournis. et qui dit tournis dit nausées.

Je tente de mettre tout ça à distance de moi. J'observe le petit bureau. 

Doucement !

Une chose à la fois. Tu y arriveras. 

 

Lou ne dit rien, écoute sagement. Me prend la main. La mienne est à la fois froide et en sueur. La sienne est sèche, ferme et chaude. Je reprends courage. Merci d'être là Lou.

 

Dr G. Lagerbe ne veut pas démarrer les séances sans avoir les résultats du "Bilan d'extension(s)"

Par extension il faut entendre "métastases".

Et par bilan, comprendre scanners et scintigraphie.

 

Elle se débrouille donc pour avancer cette dernière qui était dans trop longtemps... et ce sera... finalement demain !

Ensuite elle nous emmène à l'hôpital de jour (le HAD) puisque c'est là que "ça" se passera.

Les dames du catalogue !
Les dames du catalogue !

Avant de partir elle m'annonce que je pourrai bénéficier de séances gratuites de sophrologie, (séance le jeudi - jour de "ma" séance –j'ai de la chance !) et aussi de conseils de diététicienne et esthéticienne (je ne les ai jamais vues), parle de vernis spécial pour protéger les ongles et enfin... coiffeur et perruques, car je vais perdre mes cheveux au quinzième jour après ma première séance de chimio.

 

Je repars avec un livret, chic, papier glacé glamour.

Jolies photos... mais aucun prix.

Renseignements pris auprès de ma mutuelle, la "prothèse capillaire" peut m'être remboursée jusqu'à hauteur de 354 €. 

C'est donc si cher !

 

Je ne sais pas encore.

Je me dis que je pourrais tenter le look "nonne bouddhiste", mais au village, cela me désignerait immédiatement comme "cancéreuse"... Mot violent, porteur de miasmes et de ségrégation. Comme celui du SIDA. Pestiférée des temps modernes. 

Je vais réfléchir.

Il neige toujours.

Il est temps de quitter cet endroit. 

Retrouver la peau rugueuse du dehors, le froid qui pique les joues et le nez.

C'est décidé nous ferons une halte sur la route, et déjeunerons au restaurant.


La neige s'est transformée en pluie.

Sauzet : Auberge de la Tour
Sauzet : Auberge de la Tour

A une table derrière nous, deux femmes discutent plus qu'elles ne mangent. La brunette casse du sucre sur son mari. "Il n'exprime rien". Mais elle si : elle tiendra le crachoir pendant tout le repas sur ce thème !


Ce soir sur Arte :"la Fille aux neuf perruques" ! (Heute bin ich Blond). Je ne veux pas rater ce film.

Hymne à la vie.


Scintillement

4 février 2015

 

Après le pansement du matin, un peu de répit.

 

Cette fois c'est vers la ville de Montauban que nous roulons pour cette scintigraphie qui doit m'apprendre si j'ai, ou non, des métastases osseuses de ce cancer du sein infiltrant.

 

La neige est toujours là, s'incrustant dans quelques fossés ou labours frais. La plaine au pied de Montcuq, puis Lauzerte puis les collines arrondies, les vergers nus et les maisons basses en torchis et toits à quatre pentes, jusqu'à Lafançaise.

Enfin la longue plaine jusqu'à la cité montalbanaise.

Clinique du Pont de Chaumes (Montauban)
Clinique du Pont de Chaumes (Montauban)

Nous trouvons facilement la Clinique ainsi qu'une place dans le Parking 3 tout près de la "médecine nucléaire" !

Avec une demi-heure d'avance nous pénétrons dans la salle d'attente. A l'accueil siègent deux matrones peu amènes, qui, sans nous regarder, remplissent notre fiche tout en parlant menu du soir entre elles.

Ensuite on vient me chercher pour l'injection du produit puis nous avons "quartier libre" pendant deux heures.

Deux heures à tuer dans Montauban.

Pendant lesquelles je dois boire et pisser et reboire et repisser... pour que le produit passe partout.

C'est ainsi que l'on me décrit le charmant programme de mon après-midi.

accueil médecine nucléaire Pont de Chaumes
accueil médecine nucléaire Pont de Chaumes

Deux heures c'est trop ou pas assez.

Trop pour juste déambuler au hasard, sans oublier les arrêts "vidange" de l'eau et du thé vert engloutis, et pas assez pour se permettre un musée (tel le musée Ingres).

Notre voiture a trouvé une place souterraine et payante, et nous faisons halte à l'Office de Tourisme, puis dans un bistrot sur le thème "corrida"  ou "banderillas", rouge et jaune pétard, et conversation... de comptoir... d'après-midi.

Nous atteignons le vieux Montauban dans une grisaille pisseuse et glaciale.

Rues piétonnes et commerçantes, mais sans les bonnes vieilles épiceries, boulangeries et boucheries d'autrefois, petites "cailleras" traînant de ci de là par groupes, police et pompiers dans tous les coins. Quelques niqabs noirs aussi, qui glissent, informes, sur les trottoirs humides, poussant des... poussettes.

La cathédrale où nous pensions trouver le calme est en travaux : bruit de marteau, de perceuse et de scie, éclats de voix bruyants. 

Elle est en pierre, claire et pourtant lourde, style classique, peut-être grâce ou à cause d'un passé protestant ? A moins que ce ne soit l'empreinte de Louis XIV ? Un dais doré, baroque et immense coiffe l'autel.

Il y a pourtant un petit côté Albi et Toulouse, grâce à la présence de la brique rouge. Mais l'atmosphère est un peu glauque.

Nous quittons ce centre-ville déçus.

Peut-être aux jours meilleurs ?

Il est question que j'y retourne pour les rayons post chirurgie si rayons il y a.

Cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption à Montauban
Cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption à Montauban

Nous nous perdons dans les dédales des ruelles du vieux Montauban, nous heurtant à de multiples sens interdits qui finissent même par déboussoler Lou l'indéboussolable ! Et revenons enfin à notre point de départ : la clinique pile au moment où l'opérateur vient me chercher.

 

Allongée dans l'appareil, "Gamma camera" parfaitement immobile. 

L'opérateur me laisse seule, dans cette salle rose bonbon, et je vois la plaque au-dessus de ma tête s'abaisser jusqu'à presque me frôler...

Ne pas bouger.

Puis un léger vrombissement de l'appareil ainsi que le bruit du "moteur".

Je ferme les yeux. Impression d'être sur un vol long courrier, légères turbulences et souffle des réacteurs. Mais c'est plus confortable.

Ma tête sort de sous le "gaufrier" estampillé SIEMENS : cette large plaque qui est venue se positionner à quelque centimètres de mon crâne. 

Je suis d'un œil la progression sur le petit écran au-dessus de moi, à droite. 

Je n'ai plus qu'à attendre les résultats en tâchant de penser à autre chose.

Lou a dû rester à l'accueil, les "accompagnants" n'entrent pas dans le sein des Saints…

Me voici donc, dans la "petite salle d'attente", ainsi qu'elle m'a été désignée par l’opérateur, en compagnie d'un jeune gars qui pianote sur son smartphone et d'une dame d'un certain âge qui se marre toute seule, souffle et trouve le temps long, tout en tentant de feuilleter un magazine qu'elle dit avoir déjà lu.

La "petite salle d'attente" réservée aux patients
La "petite salle d'attente" réservée aux patients

Enfin une Blouse Blanche, qui ne se présente pas, m'appelle.

 

Il (car c'est un homme) brandit les clichés dans la lumière et je vois mon petit squelette pas plus grand, et même plus petit qu'une poupée Barbie.

La blouse blanche me demande pourquoi le Dr G. Lagerbe a demandé cet examen et me voici en train d'expliquer (en m’interrogeant sur le pourquoi de cette question) que mon cancer étant de type infiltrant elle voulait vérifier, avant la première séance de chimiothérapie, qu'il ne s'était pas étendu à mes os. Il acquiesce.

"Bon, finit-il par dire, bin il n'y a rien, tout va bien. Pas d’extension osseuse."

Se décolle immédiatement alors de moi un poids gluant d'angoisse. Comme une première pelure d'oignon.

Je respire. Il me vient un sourire.

J'aime mes os ! Je les remercie d'avoir résisté, d'être sains et en pleine forme. Je convoque toutes mes cellules et leur demande de faire de même. Je remercie Dieu aussi. En mon for intérieur.

 

J'attends encore mes résultats "papiers" et enfin je peux sortir et retrouver Lou.

Je n'ai besoin de rien lui dire, il a a vu mon large sourire et a compris que tout allait bien. 

  

Je ris en disant à Lou que cette nuit je vais être fluorescente ! Il ajoute "Et tu vas scintiller de mille feux" 

 

Etoiles plein les yeux. Flocons encore sur la route.

Retour sur notre colline.

 

Nous nous payons le luxe de prendre un auto-stoppeur entre Lafrançaise et Montcuq ! Il sent l'oignon et le feu de bois et ça me fait rire ! Jazz à la radio de bord....


Écrire commentaire

Commentaires: 0