2 - DEPART


La Drop Zone

30 Janvier 2015

 

Levés une heure trop tôt en raison d'un tout petit réveil qui ne sert pas souvent depuis que je suis à la retraite.

J'avais mis, en plus, mon téléphone à sonner mais comme c'est la première fois que je l'utilisais à cette fin, nous avions préféré doubler par ce bon vieux tout petit réveil... Au cas où.

Mauvaise idée car il était resté à l'heure d'été !

Donc... levés à 3h30 du matin, le petit réveil ayant, en plus, un bon quart d'heure d'avance !!

Heureusement je me suis aperçue tout de suite de  l'entourloupe réveille-matinale, et suis retournée me coucher. Si je n'ai pas vraiment réussi à retrouver le sommeil je me suis malgré tout reposée.

Départ dans la nuit noire à six heures moins cinq. Branches et feuilles jonchaient le sol à cause de la pluie et du vent de la nuit.

Mais pour notre trajet nous avons eu un temps plus clément et surtout pas un chat sur la route.

Ni même un chevreuil ou un faisan.

 

Entrée dans Cahors sans encombre. Toujours pas un chat.

Lou nous dégote au pied levé une petite place de derrière les fagots pour parquer la voiture. Et nous voici triomphants entrant dans le hall... avec un bon quart d'heure d'avance.

Nous avons un peu tourné pour repérer les lieux et plus spécialement le service de chirurgie ambulatoire. Puis nous avons patiemment attendu dans le hall d'entrée semblable à un hall de petit aérodrome.

Curieuse sensation de partir pour un premier court voyage...

Lou a tranquillement fait son Sudoku matinal.


À 7 h, ce fut l'admission, comme prévue, avec son cortège de papiers et de vérifications.

 

J'étais déjà passée par la case "pré-admission" ce qui a bien débroussaillé la partie administrative et l'on m'avait fait la prise de sang obligatoire avant la pose du Port-à-Cath©.

 

On nous a ensuite gentiment invités à entrer dans une chambrette, où j'ai pu ôter tranquillement tous mes vêtements et revêtir la tenue légère et seyante, bleu marine, en papier, avec son élégante charlotte assortie aux chaussons bouffants.

 

Lou a été ensuite très officiellement nommée par moi "tiers de confiance". J'ai signé également mon "consentement éclairé" (mais l'étais-je "éclairée" à ce moment précis !?) déchargeant l'hôpital et les soignants en cas de problèmes...

 

Puis nous avons attendu.

Peu de temps.

La jeune femme souriante et agréable qui nous avait accueillis, est revenue me badigeonner et re-badigeonner  l'espace de peau entre la clavicule droite, le bras droit, et le sein droit (à droite toute... après le "bleu marine" du costume cela reste cohérent) le lieu approximatif de la "drop zone", elle m'a perforé le creux du bras droit où elle a doucement déposé la canule d'une perfusion après m'avoir administré un relaxant et un anti-douleur.

 

Un jeune "chauffeur" est venu ensuite me chercher, dans mon lit, et me voilà en route, telle un "roi fainéant" couchée sur son char filant à folle allure dans les couloirs vides, enchaînant adroitement longues lignes droites et dérapages contrôlés dans des virages à 90°. J'en étais presque déjà malade, comme je le suis toujours en voiture...

 

Mais tellement dans le cirage, un peu nauséeuse même, grâce au comprimé relaxant, la bouche sèche et le débit de voix pâteux. "Stoned" m'avait dit l'interne qui m'avait prévenue, vous arriverez au bloc, stoned.

Je l'étais.

 

Transbordement du lit à un brancard à roulette froid, raide et inconfortable. Encore quelques mètres et me voici dans le bloc... Température basse. Je grelote.

 

On me re-badigeonne la "drop zone".

De jaune elle vire au brun. Il y a de l'alcool là-dedans car ça pique le nez et la "zone" est carrément glacée.

Je claque des dents.

On me pose rapidement des électrodes, des trucs et des machins... de contrôle, on me sangle de toutes parts, tout en me rassurant : on va me mettre un chauffage soufflant rien que pour moi.

 

En effet on me glisse un gros tuyau d'arrivée d'air chaud sous mon cocon de linge.

Et ça va mieux.

Une douce chaleur m'envahit. Et je somnole un peu, tout en regardant s'activer les deux infirmières qui cessent parfois de papoter pour venir me dire un mot, histoire de me montrer que l'on ne m'oublie pas.

 

On me scotche alors de vastes rectangles de papiers (ou de tissus ?) de couleur vert amande, sur la peau : les "champs stériles" m'explique-t-on, qui cette fois délimitent le point précis où aura lieu le largage du fameux Port-à-Cath©.

Ma tête est tournée vers le côté opposé et l'on se met alors en devoir de monter une sorte de tente au-dessus de moi...

 

Et je ne vois plus rien.

 

Une des deux infirmières du bloc, qui procèdent avec professionnalisme à toute cette installation, Fanny, alerte, souriante et cordiale, me dégage une mince fenêtre afin que je puisse au moins voir si l'on me parle, à moi, et qui me parle.

 

Puis j'entends, sans voir la personne, une voix dire "bonjour Mme "U." je suis Mme Bistouri, votre chirurgien et je vais

procéder à la pose de votre Port-à-Cath©."

Très bien. C'est pour ça que je suis là en effet.

Je dis bonjour, et, d'accord avec une voix de vieil ivrogne...

Je voudrais m'enfuir que je ne le pourrais plus !

Autant être d'accord...

J'ai hâte que les choses sérieuses commencent.

 

Puis la même voix me dit : "voilà on va piquer."

Sauf que l'anesthésiste que je n'avais pas vu non plus mais seulement entendu, pique en même temps qu'elle parle. L'avertissement arrive un brin trop tard.

Aïe ça pique vraiment fort. Pas comme une perfusion mais plutôt comme une guêpe, et dans le cou !

On aurait peut-être pu poser un patch anesthésiant avant… mais il faut faire vite : c'est un peu l'usine, "on" n'a guère le temps de s'occuper de ce détail car après cette piqûre la zone devrait être anesthésiée.

 

Sauf que le produit injecté fait l'effet d'une boule épaisse acide et douloureuse qui se répand vers ma gorge.

J'ai l'impression que l'on vient de me donner un coup de gourdin au-dessus de la clavicule et de l'épaule.

Deux autres piqûres suivent rapidement. Et toujours mal. Tout en restant, cette fois, supportable.

 

C'est alors que je me sens violemment secouée... Je ne comprends pas, puis je réalise que l'on décolle ma peau afin de glisser en-dessous le petit réservoir et son tuyau qui doit plonger dans la veine. L'image renforce le ressenti !

Puis des pressions très fortes suivent. "Tout se passe bien" dit le chirurgien.

Mais pour moi ça ne se passe plus très bien.

J'ai soudain trop chaud et mon estomac se soulève.

De dessous ma tente je parviens à articuler : "j'ai trop chaud et je vais vomir."

"Elle fait un vagal" dit quelqu'un. Un malaise vagal.

 

En effet une vague houle me submerge... Me replongeant ainsi, l'espèce d'un instant indéfini, dans cet interstice prégnant et glauque, au goût de vase et de marée, sans contour réel, unicolore, comme un fond d'aquarium, ce lieu étrange d'un entre-deux mondes, que j'avais déjà visité, enfant, lors de l'ablation des amygdales. Celui de la perte de tout contrôle sur moi-même, et sur les choses de la vie, glissant entre les algues molles, avec ce même mal de mer.

 

Je m'abandonne.

 

On arrête l'air chaud, on s'agite, on remonte mes pieds et redescend ma tête, on réduit des doses de je ne sais quoi, ma tension est descendue brusquement, on me glisse un "haricot" sous les lèvres : des spasmes me soulèvent et je réussis même à vomir... la cuillerée à soupe d'eau que j'ai dû boire pour avaler mes comprimés... On s'agite toujours autour de moi.

 

L'anesthésiste est revenu et c'est lui qui donne les ordres. Il me met un masque à oxygène.

Je vais mieux. Je remonte vers le monde des vivants. Multicoloré, vibrant et chaud.

Mes sueurs froides s'arrêtent.

Les nausées aussi.

 

Pendant ce temps le chirurgien en a terminé avec la couture.

Cet épisode n'a pas duré plus de cinq minutes je pense. Et l'intervention une vingtaine de minutes tout au plus.

C'est la préparation qui était longue.

Selfie :)
Selfie :)

Maintenant Fanny me dit "hop, fini le camping" et elle m'ôte la tente et les champs stériles, puis me lave tout autour de l'énorme pansement.

 

Je touche mon cou, dur et enflé et tout aussi insensible qu'un tronc d'arbre. C'est lui qui me fait le plus mal.

 

Le gros pansement est chargé de comprimer au maximum pour éviter tout hématome.

 

Un infirmier me transborde de la table au brancard et l'on m'emmène vers la salle de réveil.

Je vais bien.

Ici tout le monde vaque à ses petites occupations.

Ce n'est pas désagréable ces allers et venues et ces entrecroisements. On papote. On va boire un petit café. Le téléphone sonne sans arrêt. Mais "on" me surveille du coin de l'œil : sur un écran s'affiche, outre divers schémas, ma tension artérielle qui est revenue à la normale.

 

Je me contente d'observer tranquillement.

Fanny revient me voir.

 

Je demande ce qu'était ce malaise. Rien que de très "normal" beaucoup de personnes ont ça : le stress, la douleur, le produit, le fait d'être à jeun, de s'être levé tôt. Et en général plus les hommes que les femmes.

Vous êtes malade en voiture me demande-t-elle ?

Et oui, j'ai ça aussi... Et bien voilà aussi, non une une explication, mais une similitude de réaction souvent constatée.

Mais ce n'est rien. Je ne dois pas m'inquiéter.

Ça tombe bien : je ne m'inquiète pas. Je me sens seulement bien et tranquille. Le plus dur est derrière moi. Et ce n'était pas si dur. Au fond.

 

Arrivent deux types avec des masques, genre concombres masqués... Ils tirent derrière eux une sorte de grosse lampe montée sur socle avec un bras articulé avec laquelle ils me font la radio de la zone opérée.

Puis mon jeune chauffeur revient me faire un brin de conduite dans les couloirs et je découvre tout d'un coup là, après un passage périlleux car étroit d'une porte, le bon visage souriant de Lou, mon bon homme de mari, soulagé de me voir revenir en bon état.

Je le mets brièvement au courant des dernières péripéties.

 

La jeune femme souriante et vive revient m'accueillir et me propose un petit-déjeuner.

 

Ca tombe bien : je meurs de soif.

Et de faim.

 

  

Elle m'apportera un petit plateau avec du thé, jus d'orange, biscottes beurre et confiture de fraise genre "goût à rien" mais dont j'apprécie le sucre, et un pot de compote pomme-banane.

 

Une bouffée de chaleur plus tard, accompagnée encore d'un petit haut le cœur, et je vais mieux. Bien même.

 

J'ai sommeil maintenant.

 

La jeune femme me dit que l'on va encore me surveiller un bon moment.

 

Je m'allonge remonte les draps, ferme les yeux et je m'endors aussitôt.

 

Lou ira acheter du pain pendant ce temps.

Je suis réveillée par un dame au visage fin et aux traits aiguisés, petites lunettes, sourire léger mais professionnel et bienveillant.

 

"Je suis Mme Bistouri le chirurgien qui vous a posé votre "port-à-cath". Tout s'est bien passé. La radio indique qu'il est bien en place. Vous avez repris des couleurs. Votre tension est bonne, vous avez mangé et dormi. Vous allez pouvoir rentrer chez vous."

 

Je serais bien restée encore un peu à dormir dans ce lit douillet...

 

Je demande ce qu'était ce malaise. Elle a la même réponse que l'infirmière du bloc, Fanny.

 

Elle me salue. Poignée de main franche et repart.

 

La jeune femme revient avec l'ordonnance. Je dois avoir une infirmière tous les deux jours pour changer mon pansement.

Le premier passage sera donc dimanche soir.

J'ai deux incisions, une d'environ 4 cm et l'autre, au-dessus près de la naissance du cou, grosse comme une simple boutonnière.

Et puis j'ai une carte, façon carte de crédit ou carte de presse qui identifie mon Port-à-Cath©.

Mon esprit et mon corps acceptent déjà sa présence. Il va m'accompagner pendant au moins un an.

Plutôt cinq si j'ai bien compris certaines de mes lectures concernant la "rémission" déclarée du cancer du sein.

Et enfin mon autorisation de sortie.

Lou revient avec le pain. Il a le nez glacé : dehors la température a chuté.

 

Je m'habille seule, un peu maladroitement car "ça" tire au niveau de l'épaule et du cou.

Vais aux toilettes. Seule.

Contente de retrouver ma mobilité.

Je tiens debout.

Je tiens le choc... 

 

Nous repartons chez nous.

Je n'ai pas très faim en arrivant. Mais soif.

Après quelques bouchées j'arrête de manger et je vais m'allonger. Il n'est pas encore deux heures.

J'ai dormi jusqu'à l'heure du thé.

Une infirmière viendra lundi matin, en fait, et non dimanche soir, me changer cet énorme chose qui compresse mon cou et mon creux claviculaire.

 

Et mardi on m'ôtera le pansement nouveau et neuf pour démarrer la séance ... Non de cinéma... Mais de chimio. C'est ce que l'on m'a dit.

A moins que d'ici là le programme ne change.

Demain matin Lou se rendra à la pharmacie pour acheter les produits indiqués afin de procéder au changement de pansement.

 

 

Mais demain est un autre jour...


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