12 - "L'AFTER"

Une journée particulière

Vendredi 15 Janvier : 10 h 20

La maison est silencieuse.

Sumotori en position de combat
Sumotori en position de combat

 Je me lève sans trop de mal : rouler doucement sur le côté, me soulever en prenant appui sur l'angle de la cloison, et enfin être assise au bord du lit, puis prendre le temps de retrouver mon souffle et mon calme. La routine.

 

Tout se fait avec douceur et une extrême lenteur. Une sorte de rituel sinon de cérémonial.

 

Enfin mettre tout le poids de mon corps - tiens il faudra que je me pèse - sur mes deux jambes, en position - et presque costume - de sumotori, les kilos et l'assurance en moins, pour arriver à la position debout. Ma position de combat...

 

En traînant les pieds dans mes grosses pantoufles, je glisse plutôt que je ne marche, jusqu'à l'escalier.

Toute chose faite hier sans problème.

Et que je refais aujourd'hui, de la même façon, alors que Lou est parti faire les courses au marché du vendredi : je ne peux rester indéfiniment sans faire pipi.... et j'ai faim !

 

Ce qui n'arrive pas tous les jours !

"Une Joournée Particulière" Un film de Ettore Scola (1977 - Italie, Canada) avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni
"Une Joournée Particulière" Un film de Ettore Scola (1977 - Italie, Canada) avec Sophia Loren, Marcello Mastroianni

 Mon torse est néanmoins encore et toujours sous l'emprise de ce corset de fonte, de tiges, et de boulons qui m'empêche de respirer, me brûle, et fait atrocement mal. 

 

Descente lente, accrochée à la rampe.

Aucun mouvement brusque, pas de torsion.

 

Je passe par la case WC et remonte.

Cela a pris du temps mais aucune alerte.

Mon corps s'est "chauffé"... 

Un temps de repos, malgré tout, assise. Je respire mieux. Ne prendre aucun risque.

  

Puis je me lève pour me faire un pot de café et un œuf à la coque.

Une chose à la fois.

 

Jusque là tout va bien. Je suis contente.

11 h 10

 

Je ne sais pas si j'ai crié. Tout est allé si vite.

Une brusque décharge électrique en forme de coup de poignard a frappé le haut de ma fesse gauche !

 

Ma jambe s'est dérobée sous moi.

Mon bras droit s'est instinctivement agrippé au dossier de la chaise la plus proche, ce que faisant, il a dégoupillé et fait éclater une grenade au centre de mon sternum, précisément là où j'ai été irradiée. Une explosion qui déjà s'étale dans la poitrine et le dos.

 

Genou à terre.

Un voile cotonneux, blanc s'abat sur moi. Ma vision s'affadit et pâlit, les sons deviennent lointains.

Je vais perdre conscience.

Mon esprit tente de faire le point : ne panique pas, respire. Ne bouge pas. Ce sont les cartilages au niveau du sternum qui ont craqué. Ce n'est pas vital.

Une main à terre l'autre sur le siège, ma tête posée dessus. Je respire.Tente de respirer. Petit filet de souffle qui bat des ailles comme un papillon. Bouche ouverte : poisson qu'on a sorti de l'eau...

Une certitude : je ne vais pas mourir là, pas tout de suite. 

 

Mon téléphone est sur la table : je ne peux pas l'atteindre.

Quand même le pourrai-je, qui appeler ?

 

Lou ? S'il a du réseau, car je ne sais pour quelle obscure raison, deux fois sur trois mes appels n'aboutissent pas faute de réseau là où il se trouve.  

 

Le 15 ? Il me revient les paroles de Dr Garrigue "ils ne se déplaceront pas, pour eux ce n'est pas une urgence vitale, et s'ils viennent ils vont vous transporter et ce n'est pas le moment de vous bouger."

Il avait ajouté : "préférez le 18..."

 

En même temps je me dis que si l'on m'emmène en urgence, on me fera passer immédiatement ce fichu IRM qui est demandé en complément de l'examen radiographique. Je n'aurai pas à l’attendre pendant trois longues, trop longues semaines. Trois semaines de terribles incertitudes quant à mon avenir.

Cancer or not cancer ?

Toutes ces pensées se bousculent pendant que je halète comme un chien qui vient de manquer se noyer. Le malaise ne passe pas vite. Je suis en nage, submergée par une sueur acide et glacée et j'ai envie de vomir. Difficile de réfléchir calmement.

 

11 h 25

J'ai pu enfin m'asseoir à la table et j'ai le téléphone devant moi.

Je ne suis pas encore en état pour appeler qui que ce soit, donc je réfléchis, tête dans mes mains, à ce que je dois faire.

Il faudra avertir Lou de toute façon.

 

Mais dans demi-heure il sera de retour. L'attendre serait la meilleure des choses à faire sans doute...

Rencontre du  3ème Type

11 h 30

C'est finalement mon téléphone qui sonne me tirant ainsi de l'embarras.

J'ai peine à "décrocher" : c'est un portable, mes doigts, dont les neuropathies ont ôtés toute sensibilité et qui brûlent et picotent, glissent sur l'écran mais il ne se passe rien !

Au bout de la troisième sonnerie, j'y parviens. Ma voix est mal assurée, presque sanglotante et je suis à bout de souffle. Mais je parle.

C'est le service d'imagerie médicale de l'hôpital qui m'annonce qu'un rendez-vous IRM s'est désisté et que donc... on peut me prendre, cet après-midi à 15 heures !

Je lui explique en deux mots et tant bien que mal, ce qui vient de m'arriver, et elle me propose de me rappeler dans quelques minutes lorsque j'aurai retrouvé mes esprits.. 

Mais un "tiens valant mieux qu'un tu l'auras", je lui dis que je la rappellerai pour confirmer, dès que j'aurais une ambulance, car c'est un préalable, ce dont je vais m'occuper immédiatement. Elle met le rendez-vous en attente pour moi. 

 

11 h 35

Dans la foulée, j'appelle donc les ambulances qui m'ont déjà transportée : ils sauront ainsi trouver le chemin de la colline. Mais le gérant consulte son planning et me dit qu’aucun véhicule n'est libre cet après-midi...

Puis se ravise et ajoute "attendez je vais vérifier quelque choses et je vous rappelle".

 

11 h 43

Sonnerie de mon téléphone. Cette fois je parviens à "décrocher".

Un désistement ! Encore un ! J'aurai donc "mon" ambulance à disposition pour tout l'après-midi ! Mais ce ne sera pas le binôme de la dernière fois. J'explique un peu la route au "patron" qui semble noter... 

 

11 h 46

Je rappelle le service d'imagerie et confirme le rendez-vous.

Parfait dit la dame. On vous attend pour 15 heures.

 

Étrange sensation d'avoir soudain eu une intervention "autre".... un coup de pouce... un signe capté à la volée. Une main tendue venue "d'ailleurs", ou du plus profond de moi, là où l'infiniment grand se connecte à l'infiniment petit. Là où tout est évidence et cohérence.

 

12 h 05 Lou est de retour.

Je le mets immédiatement et brièvement (parfois je sais faire bref !) au courant des événements de la matinée. Nous ne perdons pas de temps en lamentations ou pathos d'aucune sorte... 

Il prépare rapidement le repas, m'aide à rassembler les papiers, ordonnances, résultats, carte Vitale...

Je n'ai pas faim mais réussi à avaler un minimum. Je me dois de me sustenter.

 

Avec trois-quart d'heures d'avance sur l'horaire les ambulanciers sont là.

J'ai pu me doucher et suis en train d'enfiler mes jeggings confortables et doux, en "faux blue-jeans", lorsqu’ils arrivent. 

Un quart d'heure après, Lou et moi sommes en partance pour l'hôpital.

 

15 h 30 

 

Nous sommes reçus avec une demi-heure de retard. Qu'importe.

"Rencontre du 3ème Type"... (A. Spielberg)
"Rencontre du 3ème Type"... (A. Spielberg)

J'attends sagement sur mon brancard. Les ambulanciers montent la garde et me conduisent là où on leur dit d’aller. Lou accompagne.

Une perfusion posée après, et me voici dans l'antre de l'IRM.

 

Donut géant, encore plus grand me semble-t-il que tous les autres donuts, dans lequel s'enfonce une table en forme de gouttière avec l''esquisse d'une tête en creux : un sarcophage quoi.

L'image se renforce dès lors que l'on me cale la tête là dedans et que l'on rabat le couvercle sur ma tête et mon corps.

 

Le cercueil de plastique glisse dans le donut. On me donne une poire pour appeler au cas où les choses ne se passeraient  pas bien et l'on me réitère la consigne "ne bougez surtout pas pendant toute la durée de l'examen."

Sons au maximum, malgré les bouchons et autres protections que l'on a glissés dans et sur mes oreilles... entre les cinq notes de "Rencontre du Troisième Type" (S. Spielberg), Sol La Fa Fa Do, le bruit d'un compresseur puis d'un marteau piqueur, vibration profonde dans mon corps... Je suis dans les soutes d'un cargo de l'espace, ou dans celles d'un sous-marin.

L'expérience n'est pas déagréable.

L’examen durera environ une demi-heure.

On me retire du cercueil et m'aide à me relever car cela m'est impossible....

Je regagne mon brancard, ambulanciers et Lou sont rappelés près de moi.

 

Nous attendons les résultats pendant quinze minutes. Bavardages futiles pour oublier ce que l'on attend...

 

Comme la dernière fois, une blouse blanche "qui ne sait rien" me tend la grande enveloppe. Je demande un instant à mes "assistants" pour consulter immédiatement les conclusions de l'examen. Elles sont prudentes...

 

Nous écartons donc la piste noire des tumeurs.

Je respire mieux.

 

Reste l'ostéoporose dont il va falloir s"occuper très vite puisque nous avons pris de court les plannings hospitaliers ! Il faut profiter de l'avancement des choses.

 

Vendredi 15 janvier 18 heures

J'envoie par email ces résultats au Dr Garrigue.

Une fois cette bouteille lancée à la mer je n'ai plus qu'à attendre lundi.

 


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