12 -"L'AFTER"

Sister Morphine

La parenthèse du week-end a été longue. Cortisone et anti-inflammatoires ne font plus d'effets. Ou presque.

Je ne sais pas encore si le Dr Garrigue va venir, ni ce qu'il va pouvoir faire.

J'ai peur.

J'ai mal.

Je voudrais être hospitalisée. Que l'on me prenne complètement en charge. Ne plus rien avoir à penser, à imaginer.

Ne plus souffrir.

Dormir.

Mourir.

To be, or not to be- that is the question : 

Whether 'tis nobler in the mind to suffer

The slings and arrows of outrageous fortune 

Or to take arms against a sea of troubles, 

And by opposing end them. To die- to sleep- 

No more....

Hamlet - Acte III scène I

 version dite "pirate".... William Shakespeare

 

Etre, ou ne pas être : telle est la question.

Y a-t-il pour l’âme plus de noblesse à endurer

les coups et les revers d’une injurieuse fortune,

ou à s'armer contre elle pour mettre un terme 

à une marée de douleurs ? Mourir... dormir,

C’est tout... 


Lundi 18 janvier,

Lou appelle le Dr Garrigue à la première heure. Ce dernier s'excuse de n'avoir pas répondu tout de suite à mon email : il était en Espagne, dans sa famille. Mais il a déjà préparé le plan d'urgence à partir des différents résultats qu'il a reçus !

Et il sera là, chez nous, avant midi.

Je suis rassurée. Je me rendors pour ne plus penser à rien.

Je ne me sens plus aussi seule face à mes os qui se décomposent et pour lesquels je ne peux rien faire.

 

Vers midi Dr Garrigue est à mon chevet !

Et il prend les choses en main : perfusion d'Aclasta® avec association de forte dose de vitamine D et un peu de calcium, afin de stopper l'ostéoporose et commencer à réparer mes os, et patchs de morphine (Fentanyl®) dosés à la minima (lui et moi craignons les effets secondaires), pour endormir mes douleurs.

Au bout d'un mois je devrais commencer à me sentir mieux. 

Ce n'est pas pour tout de suite, mais cette fois c'est du concret. "Balisé" dans le temps comme le constate mon amie du Tarn.

Je reprends espoir.

Il faudra alors, plus tard, songer peut-être à une hospitalisation, sans doute à la Clinique du Cèdre à Toulouse. Et une rééducation....

Le chemin de croix est encore long...

 

Dans l'après-midi, Lou est allé acheter les patchs de morphine, la vitamine D et le calcium.

L'Aclasta® n'est pas en stock : la pharmacie ne l'aura que demain matin.

Pendant ce temps je prends rendez-vous avec une infirmière pour la perfusion.

Ne pas perdre plus de temps !

A son retour de la pharmacie Lou me pose un patch. Il est 15 h 30

A l'heure du goûter chaleur et picotements m'envahissent.

Ma tête part dans le coton. Je m'endors presque dans mon yaourt !

Lou me couche dans mon "tiroir" : c'est ainsi désormais que je nomme mon lit de camp du sous-sol.

Et je pars à la dérive. J'ai peine à m'éveiller pour manger un peu. Peine à m'éveiller pour faire mes besoins.... Je ne sais dans quelle mer je navigue. Eau tiède, un peu salée, et rêves étranges, précis et incongrus à la fois.

De vagues nausées viennent aborder ma barcasse : je les ignore espérant qu'ils passent au large.

Ils passent.

Je dors.

Encore et encore.

 

Le lendemain en fin d'après-midi, l'infirmière vient poser ma perfusion.

Je suis assise sur le canapé. Indolente. Un peu loin de tout...

L'infirmière a accroché la bouteille d'Aclasta® à un piton : rustique, mais efficace ! Et c'est parti pour 40 minutes d'immobilité...

Le produit va commencer son travail et je serai parée pour une année entière !

Pour faire "simple" il va bloquer la résorption de l'os par les cellules ostéoclastes (celles qui détruisent l’os anciennement formé) au profit des cellules ostéoblastes (celles qui construisent du nouvel os).

 

Ce n'est pas magique non plus.

 

Je vais désormais devoir vivre avec cette maladie sournoise.

 

 Dr Garrigue a été stupéfait de la fulgurance de cette déminéralisation : mais a-t-elle été aussi "fulgurante" ?  

 

Depuis mes 50 ans, un âge difficile pour les femmes comme chacun sait, personne ne s'y est intéressé.... Malgré quelques alertes et côtes fissurées dont je me suis pourtant plainte. A plusieurs reprises.

Mais peut-être avons-nous été interrompues (mon docteur était alors une femme) par le téléphone ? Comment ausculter un patient avec l'attention nécessaire, lorsque le téléphone sonne sans arrêt, et que, bien souvent, un autre patient attend dans une autre pièce, que l'on vienne s'occuper de ses aiguilles d'acupuncture... et que la salle d'attente regorge de monde et que le retard pris sur les rendez-vous s'accumule ?

 

Pas plus finalement que l'on avait vraiment pris au sérieux ces masses fibreuses qui avaient envahi mon sein... 

Étranges docteurs en vérité, qui ne s'en sont tenus qu'à une seule pathologie : une thyroïde qui ne fonctionnait plus et sur laquelle j'avais dû attirer leur attention, car, pendant des années, moi qui ai ce que je nomme le "gène du bonheur", j'ai été traitée tantôt pour dépression chronique, tantôt pour dépression réactionnelle, et même pour des troubles bipolaires ou maniaco-depressifs, "on" ne savait pas trop comment m'étiqueter, sans que mon état ne s'améliore,  et sans que jamais aucun d'entre ces "savants" ne songent à faire une simple analyse de sang mesurant mon taux de TSH !

 

Car c'est moi qui, à force de recherches, me suis posée cette simple question : et si c'était ma thyroïde ?

Question que j'ai posée.

Et j'ai dû insister pour me faire entendre.

 

D'ailleurs une fois ce taux rééquilibré par le traitement adapté, je n'ai plus eu d'accès dépressif.

Bizarre ? Vous avez dit bizarre ?

 

Si je devais être "dépressive" je crois que cette année 2015 aurait été idéale !

 

Or, une fois pesée, "tiens vous avez grossi il faudra faire attention", mesurée "tiens vous avez perdu 2 cm, il faudra faire attention", une fois la tension et le poul pris "vous avez un cœur de jeune-fille", les seins et ganglions palpés, et le verdict tombé "Tout va bien, vous pouvez vous rhabiller", on jetait un œil sur mon taux de cholestérol, de triglycérides et de gamma GT et enfin sur le fameux taux de TSH de la dernière analyse de sang, puis on me prescrivait, après s'être enquis de mon "humeur", car on ne lâchait pas la piste de la dépression, le renouvellement du traitement que la Thyroïdite de Hashimoto m'oblige à prendre "à vie" (comprendre jusqu'à la mort) depuis quelques années déjà.

C'était la même routine à chaque consultation.

Ne pas sortir des sentiers battus et balisés. Rester dans le casier dans lequel on m'avait rangée. Ne pas entendre les signaux d'alarme... ne pas chercher plus loin... Ne pas être à l'écoute.

 

Je m'étais moi-même auto prescrit de la vitamine D que je prenais en gouttes quotidiennes, car on sait que les troubles de la thyroïde entraîne une décalcification.

 

Cela n'a pas été suffisant, dès lors que le cancer a commencé son oeuvre d'auto destruction.

Le cancer déminéralise !

"Des études ont démontré que globalement quand on a fait un cancer du sein, on a un risque de fracture qui est augmenté de 30 %. Tout n'est pas très clair en ce qui concerne la cause de ce phénomène mais c'est une réalité." (source : Pr. Bernard Cortet, rhumatologue au CHRU de Lille)

 

Quant à la chimiothérapie...

"Il est actuellement certain que les traitements médicaux du cancer du sein entraînent des complications ostéo-articulaires pendant leur administration. L’ostéoporose compliquée, potentiellement grave, est facilement reconnaissable et traitable préventivement pour éviter des séquelles durables."... (sources : La vie après un cancer du sein: quelle guérison? Séquelles ostéo-articulaires des traitements - 31es Journées de la SFSPM - Société Française de Sénologie et de Pathologies Mammaires-, Lyon, novembre 2009)

 

Ah bon ? Le Dr G. Lagerbe semblait l'ignorer...

 

Faut-il donc tout faire soi-même ? Do It Yourself ? DIY ?

Dr Garrigue m'a rattrapé au vol si je puis dire, à un moment où je cherchais désespérément un médecin traitant dans une région où les docteurs partent tous à la retraite sans laisser de successeurs...  A un moment où ces masses fibreuses m'inquiétaient de plus en plus et où un nodule douloureux était apparu sous l’aisselle !

Il découvre maintenant l'ampleur des dégâts collatéraux et va devoir faire face. Et moi aussi.

 

Suis-je une "accro" des maladies auto-immunes ? Hashimoto, cancer, ostéoporose... ? Quoi d'autre ?

 

La perfusion s'achève....

L'infirmière qui a profité de ce temps mort de 40 minutes pour faire des papiers administratifs tout en me surveillant du coin de l’œil, retire l'aiguille, pose un pansement.

 

J'ai sommeil, tellement sommeil !

Je vais plonger pendant presque quatre jours dans une somnolence fiévreuse, sueurs, courbatures, maux de têtes... Mal partout.

 

Lou est là, me lève lorsque je le peux, me fait faire mes besoins, me lave, me recouche et me borde... Un bébé bien lourd !

 

Je suis tellement désolée Lou de te faire subir tout ça !

 


Sister Morphine, Petite sœur Morphine, fleur de papier de soie rose au cœur de nacre noire, berce-moi ! 

 

Offre-moi tes paradis artificiels, le temps que le feu s'éloigne de mon corps !

 

Des rêves calmes et insensés m'ont envahie.

 

Rêves d'eau, et de lumières. Poussière de soleil couchant. 

 

Allongée sur un ponton parfumé, de cèdre ou de camphrier clair, dominant une baie d'un bleu d'opale, lointaine, je reste immobile... offerte à la brise marine d'une fin d'après-midi.

 

Lambert Wilson est mon voisin de palier : nos pontons-terrasses sont disposés en rayon, comme Héliopolis, la Cité au Cap d'Agde, tournée vers le soleil, celle des années 70 quand elle n'avait pas encore le goût, l'odeur et la vulgarité du souffre.

 

 Nos appartements neufs, sorte d'appartements témoins que l'on nous a donnés, pour je ne sais quelles raisons, sont largement ouverts sur l'espace marin.

Je sais qu'ils ont été entièrement construits et décorées, au vase de fleurs et torchon près, en huit jours, comme dans les émissions de télévision. Je n'en ai vu que la salle d'eau, couverte de pavés de résine et de verre, aux couleurs vives et translucides, turquoises, aigue-marines et jade. C'est à la fois antique et moderne.

 

Allongée sur mon ponton, je vois soudain surgir devant moi, venu du néant, une silhouette toute vêtue et enturbannée de noir... un émissaire du Califat !

Il se met aussitôt à défourailler la mort depuis sa Kalachnikov. Lambert Wilson tombe. J'en vois d'autres qui tombent encore, Lentement. En un étrange silence. Pas de sang, rien. Comme les feuilles mortes d'un arbre que le vent détache.

Je ne bouge pas. Je n'ai pas peur non plus.

Suis-je déjà morte de toute façon ?

 

Fin du rêve ! Depuis mon matelas au sous-sol, j'observe l'ombre de la porte du couloir qui s'étire et vacille.

Je suis en vie. Petit à petit mes yeux et mon esprit remettent les choses à leur place. 

 

Et ainsi, pendant des nuits, les rêves vont se succéder.

 

Au matin, parfois, vers les cinq heures, avant que ne se lève le jour, il en subsiste encore des traces précises, des noms, des paysages en couleur, des mots, des saveurs, des musiques et des parfums... Je reste alors sans bouger dans un cocon ouaté : la douleur n'est pas encore là, mon corps est calme si ce n'était la sensation désagréable d'être allongée sur des gros bouts de bois et des engrenages cassés qui me brûlent le dos. Il faut que je me tourne.

Et c'est là que la douleur revient se rappeler à moi.

 

Parfois c'est un violent mal à la tête qui m'éveille et m'empêche de me rendormir vraiment.

Et il continue à me casquer de ces épines et son brasier pendant des heures et des heures. La lumière me devient insupportable et la nausée s'installe.

 

L'appétit, le petit bonheur de manger, a disparu.

La vue et l'odeur de la nourriture me donnent des hauts le cœur. 

 

Et puis il y a aussi les hallucinations !

Dans la nuit du 30 au 31 janvier des lumières vacillantes mais totalement incongrues à cette heure de la nuit et en ce lieu, ce qui les rend menaçantes, m'ont éveillée. Était-ce un éclair ? Un incendie ? Une lampe de poche ou des phares de voiture ? Je suis restée immobile et silencieuse à écouter mais rien n'est venu m'apporter de réponse à mes questions, lorsque soudain des voix proches se sont fait entendre ! 

"Давай ! Давай !" (Davaï ! Davaï ! Allez ! allez !)

Des Russes !!! Que font-ils là ? Et "ça" court devant la maison !

Je n'ose ni bouger ni appeler Lou.

Et tout d'un coup, horreur, on agrippe mes draps et couverture à mes pieds et on tire sur l'ensemble ! Je sens très distinctement glisser les draps sous moi ! Ils tirent ainsi en plusieurs fois puis tout s'arrête. Plus rien ne se passe. J'ai mis un long moment à comprendre que je venais d'avoir une hallucination. Et c'est là que le mal à la tête est revenu s'incruster pour une douzaine d'heures dans mon crâne.

 

Sister Morphine...

 

Here I lie in my hospital bed 

Tell me, Sister Morphine, when are you coming round again? 

Oh, I don't think I can wait that long 

Oh, you see that I'm not that strong 

 

Me voila étendu dans mon lit d'hôpital

Dis-moi, Soeur Morphine, quand reviens-tu me voir ?

Oh, je ne pense pas pouvoir attendre si longtemps 

Oh, tu vois que je ne suis pas si fort que ça

 

 Songwriters: JAGGER, MICK / RICHARDS, KEITH / FAITHFULL, MARIANNE

Sister Morphine lyrics © Abkco Music, Inc.


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APRES LA FRACTURE - Informations sur la douleur et des conseils pratiques pour le mouvement
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