"L'After"

Après toutes ces "réjouissances", je pensais désormais pouvoir enfin me rétablir tranquillement.

 

Je me doutais bien que cela prendrait un peu de temps, ou comme disent les docteurs et autres spécialistes interrogés sur le sujet : "un certain temps", "quelques temps", voire "quelques mois" ou plus... sans autres précisions, mais je n'avais pas envisagé qu'il y aurait un "après", un "after", un prolongement, au cas où je n'en aurais pas eu assez pour mon compte.

 

Cette fatigue trop lourde pour moi, ces douleurs de tout le corps qui ne cessent pas, qui perdurent et me narguent, qui me rappellent à chaque instant que je dois me reposer maintenant, et rien d'autre, repousser aux calendes grecques tout ce que j'avais projeté de faire, n'étant pas en état de le faire "avant".

Je savais pourtant que je ne sortais pas d'une simple "grippe", mais ayant plutôt bien résisté jusque là, je pensais que la suite irait crescendo vers un mieux perceptible de jour en jour.

 

Et bien non.

Je fais partie de ces 25 % de femmes opérées d'un cancer du sein qui souffrent encore, et comment ! six mois après, un an après, de douleurs neuropathiques...

Ma "lézarde"... petit dragon en zigzag gravé à jamais sur ma poitrine
Ma "lézarde"... petit dragon en zigzag gravé à jamais sur ma poitrine

 

On parle beaucoup de "l'après cancer" pour les survivants, en terme d'émotions, toutes plus ou moins difficiles à vivre et à gérer. 

Mais on ne parle pas de notre état physique. Ou si peu que c'en est dérisoire !

 

On parle beaucoup du suivi "post traitement", de symptômes dépressifs, d'exercices physiques et de "gymnastique après cancer", on nous incite à "reprendre notre vie en main" sans nous dire comment, on nous dirige vers des soins de beauté, des cures diverses, des prothèses ou des reconstructions mammaires.

On parle aussi et surtout de "reprise de vie sexuelle" pour laquelle il suffit (?) d'utiliser du gel ou capsules contre la "sécheresse vaginale". Et le désir alors ?

On se penche sur nos futures grossesse, sur les possibilités d'allaitement, sur notre contraception...

 

Sans oublier l'étape essentielle de "retour au travail" !

Car qui dit "retour à la normale" dit retour au boulot.

 

Quid des cancéreuses qui comme moi sont à la retraite ET ménopausées ?

Black out.

Nous n'existons pas dans les "conseils de retour à normale". Débrouillez-vous. Nous avons dépassé la DLC (date limite de consommation) je suppose.

Comment retrouver une vie sexuelle harmonieuse quand la chimiothérapie a encore réduit le taux de nos hormones déjà défaillantes ? Comment pratiquer un Kamasutra même des plus basiques lorsque l'on a le dos en capilotade et un "chien agrippé sous l'aisselle" ? Très bonnes questions. A nous de trouver les réponses.

 

On nous parle de l'impact psychologique de la mastectomie. Pour y pallier on nous incite à envisager rapidement l'étape de reconstruction mammaire : repasser sur le billard, plusieurs fois, soins et traitements lourds pour acquérir un succédané de poitrine qui ne sera jamais le sein que nous avions auparavant mais qui nous fournira peut-être, si l'opération est réussie, une silhouette acceptable et même pleinement satisfaisante (parfois)...

 

Allons mesdames ! N'hésitez pas ! Retrouvez un corps de rêve.... grâce à la reconstruction par prothèse (genre PIP ?), ou transfert graisseux (lipomodelage), ou lambeau du grand dorsal ou grand droit de l'abdomen (DIEP)... interventions suivies ultérieurement d'une reconstruction de l'aréole et du mamelon, lorsque le volume du sein sera stabilisé, avec parfois une autre intervention sur le sein restant afin "d'équilibrer".

 

Comment ne pas être culpabilisées, et passer pour des couardes et des ignares, lorsqu'on lit "Les autres (celles qui n'auront pas recours à la reconstruction mammaire) s'abstiendront par peur de la douleur, par saturation du milieu médical et trop souvent, par manque de véritable information."

 

Il faut souffrir pour être belle... (?) nous rabâche-t-on depuis des siècles !... 

Parce qu'il faut être, nous autres femmes, "belles et battantes"...

Pour qui ? 

Et bien moi, je pense avoir une "véritable information", mais j'ai aussi "peur de la douleur" et je suis "saturée du milieu médical". Et c'est ainsi.

Quant à savoir si l'on est plus "belle" AVANT ou APRES.... That is a real question.

Ça se discute. En regardant des photos "cliniques" d'un "avant" et d'"un "après", je reste perplexe...

La "beauté" dans ce cas est plus que subjective... Quant à l'image de soi... ?

images cliniques
images cliniques

 

Personne ne signale les douleurs que l'on peut ressentir longtemps suite à une mastectomie totale et un curage axillaire. Personne. Sauf quelques cancéreuses qui abordent timidement le sujet dans des forums spécialisés.

 

Et qui parle des semaines et mois de cette trop longue et trop lourde convalescence physique qui suit les traitements et sape le moral ?

Personne non plus.

Il faut être positif ! On s'attend à ce que nous reprenions notre vie d'avant peu après l'arrêt des traitements, même si l'on reconnaît parfois que les traitements affaiblissent beaucoup l'organisme...

"Affaiblissent" ! Le mot est léger !

 

Voici ce qu'on peut lire à peu près partout : "Vivre un cancer du sein est une épreuve à la fois physique, car les traitements affaiblissent beaucoup l’organisme, mais c’est surtout une épreuve psychologique considérable."

 

Et bien non. 

L'épreuve psychologique n'est pas forcément aussi éprouvante que l'épreuve physique et la seconde dépend pas mal de la première.

"La Petite Mort" d'après la BD de ©Davy Mourier
"La Petite Mort" d'après la BD de ©Davy Mourier

 

On nous parle de la Peur, car, nous prévient-on, il peut être effrayant de quitter le cocon protecteur des médecins et infirmières qui nous ont soutenus par et pendant les traitements.

C'est dire dans quel état de solitude profonde certains cancéreux et cancéreuses se trouvent pour avoir peur de quitter ce "cocon protecteur" !!! 

Pour ma part l'arrêt des traitements a plutôt été un grand soulagement ! Ne plus avoir à fréquenter hôpital, docteurs et autres Blouses Blanches a été une délivrance.

Et pouvoir mettre au passé cet épisode de ma vie fut également porteur d'espoir et de nouveaux projets.

Le premier fut ce voyage à Londres qui a hélas avorté justement à cause de cet "after" que je n'avais ni prévu ni anticipé.

 

Toutefois, alors que nous avions des traitements et rendez-vous très planifiés, un parcours borné par des dates précises et des dates butoirs, ce qui somme toute était sécurisant et avait programmé notre corps et notre esprit, dans "l'after", nous sombrons dans l'incertitude quant à la date de retour à la normale. Si jamais nous y revenons un jour, car rien n'est moins sûr.

C'est je l'avoue très éprouvant et générateur d'angoisse.

 

Une chose est sûre néanmoins, depuis l'annonce de la présence de Karkinos en mon sein jusqu'à la rémission d'aujourd'hui, je n'ai jamais eu de sentiment de colère ou d'injustice. Je ne me suis jamais demandé "pourquoi moi ?". 

 

Même si j'ai senti le vent de la Faux siffler à mes oreilles de chat !

 

Je n'ai pas accepté cet état de fait avec fatalité ou fatalisme mais je l'ai envisagé, sans me forcer, en tout cas en apparence, en me disant qu'il n'y avait pas de raison particulière, mais plutôt des causes nombreuses et multiples ainsi qu'une part de hasard. 

Mais n'ai-je pas fermé la porte à ces sentiments seulement pour me protéger ? Parce qu'il fallait faire face avant tout ?

 

Je me sens tellement vide maintenant...

 

Sortir de l'ombre, sentiments en tête-bêche, avenir cassé mais en roue libre, patchwork hétéroclite d'émotions...

 

Certains amis ou connaissances ont voulu fêter la victoire sur Karkinos : c'était gentil, mais prématuré et très déroutant. 

Une fois les traitements terminés, il est difficile de comprendre que nous ne soyons pas aptes à nous réjouir et prêts à reprendre la vie d'avant, là où nous l'avions laissée, à la porte des Terres de Karkinos.

"C'est fini maintenant, tu dois tourner la page."

Fini... Ah bon ! Mais pour qui ?

Cette phrase est terrible à entendre : en décalage total entre cette "normalité" et notre état devenu justement hors norme.

Bien sûr au fond de nous il y a la satisfaction d'être aller jusqu'au bout et à être sortie de cette "auberge rouge", nous l'espérons en tout cas, mais nous ne sommes plus sûrs de rien, tant notre vie et nos certitudes ont basculé d'un coup d'un seul, sans prévenir.

Je suppose que ceux qui ont été victimes d'un accident ou d'un attentat ressentent ce même décalage.

Nous ne sommes plus les mêmes. Ne le serons plus jamais. Ce changement, ces modifications et cette perte d'une partie de nous-mêmes nous rendent tristes. Très tristes.

Et la raison n'a rien à voir là-dedans.

Laissez-nous le temps de nous reconstruire sinon de nous réinventer.

 

L'expérience de ce voyage aux limites du connu et de la mort laisse trop de traces, pour que l'on songe à célébrer quoique ce soit. On en sort exsangue. Il faut du temps pour retrouver un équilibre et une forme de sérénité : c'est peut-être là le sens de cet "after".

 

En revanche je ne peux pas nier que la peur de la récidive est désormais bel et bien là.

Et chaque douleur, comme ce mal au dos qui ne veut pas me quitter, je ne peux m'empêcher de l'interpréter comme un signe de cancer récurrent. Cette crainte devrait se faner au fil du temps, mais disparaîtra-t-elle ? J'en doute.

Et en cela je rejoins la cohorte des survivants du cancer.

 

Humour noir... pour penser à autre chose... 


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La Vie après un Traitement contre le Cancer (en français) - Société Canadienne du Cancer
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